Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare) – de Kinuyo Tanaka – 1955
Les deux premiers films de Kinuyo Tanaka (Lettre d’amour et La Lune s’est levée) étaient magnifiques. Celui-ci est sans doute le plus personnel de tous ceux qu’elle a réalisés. Celui qui véhicule aussi la plus grande urgence, jusque dans l’histoire de sa production. Le film s’inspire de l’histoire de la poétesse Fumiko Nakajo, morte en 1954 à 31 ans, quelques mois seulement avant le tournage. Sa mort, la biographie que lui consacre le journaliste qui fut son amant, le scénario qu’en tire Sumie Tanaka (aucun lien), et le film de Kinuyo Tanaka… Tout ça s’enchaîne en l’espace d’un an.
Triste destin que celui de Fumiko, femme trompée, divorcée, séparée de son fils, amputée de ses seins suite à un cancer qui finit par gagner les poumons… Le genre de destin qui inspire les pires mélodrames hollywoodiens. Kinuyo Tanaka en tire un film évidemment bouleversant (que celui qui ne pleure pas dans les dernières scènes quitte ce blog immédiatement), mais avant tout sensible et délicat.
Humble et audacieux, aussi. Tanaka filme cette histoire sans fioriture, avec une extrême simplicité, et un sens aigu du détail. C’est cette simplicité qui domine, parce que tout ce que filme l’actrice (qui s’attribue le petit rôle de la voisine) et réalisatrice est strictement au service du personnage, de sa douleur et de sa dignité. Mais le film est aussi très audacieux donc, dans sa manière d’aborder le cancer et le corps des femmes, frontalement, sans voyeurisme ni misérabilisme.
Dans le cinéma des années 50 (et pas uniquement le cinéma japonais), aborder un sujet comme celui-ci avec cette approche là, directe, est exceptionnel. A vrai dire, dans les décennies qui suivront aussi. Tanaka filme la mort qui rode, le corps qui trahit. Elle filme une mère hantée par l’idée de perdre ses enfants, mais aussi une femme dont le corps, amputé, réclame cet amour que pourrait lui offrir le journaliste, qui est venu pour un sujet voyeuriste (une jeune poétesse aux portes de la mort juste après la publication de son premier ouvrage), et qui est resté par amour.
L’étreinte qui unit ces deux êtres inspire à Tanaka ses deux plans les plus audacieux, et peut-être les plus beaux. L’un, étrange caméra subjective adoptant le point de vue… du lit. L’autre, délicat et déchirant, captant la main de l’une, et le regard de l’autre. C’est beau, comme le regard de M. Hori comprenant les sentiments de celle dont il admire tant les poèmes. Ou le regard des enfants se raccrochant à leurs espoirs. Tiens… M’en va retourner verser quelques larmes, moi.
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