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Le Détroit de la faim (Kiga jaikyô) – de Tomu Uchida – 1965

Classé dans : * Polars asiatiques,1960-1969,UCHIDA Tomu — 17 mars, 2023 @ 8:00

Le Détroit de la faim

Grâce soit rendu à Carlotta, l’éditeur vidéo qui met en lumière ce film pas si obscur – un magazine nippon l’a classé à la troisième place des plus grands films japonais de tous les temps, devant Voyage à Tokyo – mais pour le moins méconnu de ce côté-ci du monde. Tomu Uchida m’avait en tout cas totalement échappé jusqu’à présent. Le gars a pourtant une carrière impressionnante, commencée au temps du muet, et qui touchait à sa fin lorsqu’il a signé ce film noir, saga monumentale qui, sous des attraits de film de genre, nous plonge dans les années de la reconstruction.

Le film commence en 1947. Le traumatisme de la guerre n’est jamais évoqué frontalement, ou lourdement, mais il est omniprésent dans le décor, et dans la vie des personnages. La misère est omniprésente, le chômage, les dettes, la présence américaine, les terrains vagues, les coupures d’électricité, le vagabondage, l’insécurité, l’inconstance sociale… Voilà pour la trame de fond. Alors non, on ne voit rien de la guerre, mais elle introduit chacun des personnages à sa manière.

Ce qui frappe dans ce film, en plus de la puissance picturale et du grain profond du noir et blanc, c’est justement l’importance donnée à chacun des personnages, dont on adopte successivement les points de vue, avec des ruptures parfois violentes et radicales, qui chacune renforce le drame qui se noue. Avec même une ellipse radicale et belle figurée par un alignement de statuettes…

Les choses inanimées sont souvent porteuses de symboles, de souvenirs, voire même de toute une vie. A ce propos, y a-t-il un autre film dans l’histoire du cinéma où on voit une jeune femme jouer longuement avec l’ongle de son amour disparu, dans une scène qui plus est lourde en évocation sexuelle ? Je parierais que non…

D’emblée, le film s’inscrit dans un contexte historique fort : celui d’un typhon qui a ravagé une partie du Japon, causant le naufrage d’un ferry et la mort de centaines de passagers. Mais sur la plage, les corps de deux inconnus sont retrouvés, qui ne correspondent pas à la liste des passagers. Des clandestins ? Un flic malade et en bout de course est persuadé que non, et se lance à la poursuite d’un troisième homme, dont il est persuadé qu’il est responsable d’un autre crime.

L’homme est-il coupable ? Il est en fuite en tout cas, voyage autant physique qu’intérieur qui lui fait traverser un pays exsangue, côtoyer la mort de la manière la plus intime qui soit (l’image saisissante de cette vieille aveugle invoquant les esprits)… La mort est omniprésente dans le film, y compris dans la belle rencontre entre le fuyard et la jeune prostituée, cœur vibrant du film.

Deux scènes clés se répondent, à dix ans de distance. Deux scènes très similaires dans la construction : une étreinte passionnée entre le même homme et la même femme. De la première violente et angoissante née un grand moment de bonheur. De la seconde, qui a le désespoir de la passion retrouvée, ne sort que mort et désolation… Dans les deux cas, Tomu Uchida nous prend par surprise, déclenchant des torrents d’émotion.

  • Blu ray chez Carlotta

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