Juste avant la nuit – de Claude Chabrol – 1971
Et si la première image de Juste avant la nuit, après un travelling sur la ville menant à la fenêtre d’un immeuble, clin d’œil pas innocent au premier plan de Psychose, était ce qu’il y avait de plus fort, et de plus évocateur, dans tout le cinéma de Claude Chabrol ? Un gros plan sur le profil baissé de Michel Bouquet, son incarnation la plus cynique de la bourgeoisie, le regard fixe sur une culpabilité dont on ne sait encore rien, et sur un arrière plan totalement noir. Et puis la lumière revient, laissant apparaître l’objet du malaise : une jeune femme nue et alanguie, pas encore assassinée mais c’est tout comme.
Juste avant la nuit n’est pas le film le plus célèbre et célébré de Chabrol. Il l’est moins en tout cas que Le Boucher, Que la bête meure ou La Femme infidèle, tourné peu avant. C’est pourtant l’un de ses chefs d’œuvre, et peut-être le plus hitchcockien dans sa facture et dans ses thèmes : cette manière de filmer la culpabilité et l’hypocrisie, les effets du crime plutôt que le crime lui-même, que Chabrol semble décortiquer dans les moindres détails alors qu’il ne nous en montre rien d’autre que les prémices et les conséquences. Pas l’acte lui-même.
Il semble en terrain totalement familier, Chabrol, filmant une famille bourgeoise se raccrochant à ce qu’elle a de plus vital : cette apparence de bonheur et de fidélité que chacun de ses membres ne cesse de revendiquer avec éclat. Les enfants rieurs, la femme faussement candide, la grand-mère exubérante, et même la bonne abonnée aux fous-rires… Tout sonne trop parfaitement pour être profondément sincère.
« Je te demande pardon… » commence le mari lorsqu’il confesse son crime à sa femme. Avant de continuer, sans ciller : « … Je n’ai pas eu le courage de continuer à me taire. » Avec cette phrase lancée par Michel Bouquet, et avec le visage fermé de son épouse jouée par Stéphane Audran, c’est un peu comme si le couple de La Femme infidèle poussait à l’extrême la logique bourgeoise chabrolienne : s’il s’excuse, ce n’est pas pour le crime qu’il a commis, mais pour le désordre que cela entraîne dans cette petite vie si parfaite.
Surtout ne rien laisser transparaître, surtout ne rien faire qui pourrait troubler la surface de ce bonheur apparent. La scène où Bouquet se livre au mari de sa victime, qui est aussi son meilleur ami et qu’interprète François Périer, est extraordinaire. Périer, au premier plan le visage impassible. Bouquet un peu en arrière, plongé dans l’ombre, de plus en plus opaque au fur et à mesure que son ami encaisse sans éclat, refusant de renoncer à cette amitié inséparable de son équilibre bourgeois…
Le crime est un prétexte, un « mcguffin » pour reprendre le terme d’Hitchcock, la raison qui enferme le personnage de Michel Bouquet dans une prison interne que la mise en scène de Chabrol ne cesse de souligner par des jeux de rideaux, par des grilles posées en premier plan… Autour de lui, dès ce formidable plan d’ouverture sur fond noir, le décor ne fait que renforcer le sentiment d’isolement et de pression, jusqu’à la nuit. La nuit qui estompe les aspérités. La quintessence du cinéma de Chabrol.
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