Remous – d’Edmond T. Gréville – 1935
Le désir est un thème qui réussit bien à Gréville, à qui on devra le très bon Port du Désir avec Gabin, ou le formidable Le Diable souffle, que Remous annonce à bien des égards. Formellement, on retrouve la même ambition, la même volonté d’utiliser toute la force du cinéma, avec une narration avant tout basée sur les silences, les regards, le mouvement, les ellipses (superbes et lancinantes, les ellipses).
Du grand cinéma, sur un sujet fort et audacieux : l’impuissance d’un homme, sorti diminué d’un accident de la route durant son voyage de noces, et la frustration de plus en plus difficile à gérer de sa jeune et belle épouse, qui l’aime sincèrement mais se retrouve face aux réalités de son corps et de ses désirs. Tout ça est bien plus que suggéré dans ce film à la fois direct et délicat.
Gréville, par successions d’épisodes entrecoupés par des plans d’eaux en furie (tout un symbole), filme ce couple si beau dont la perfection se fissure au fur et à mesure que le quotidien s’impose, un peu comme un barrage qui se remplirait peu à peu jusqu’à… jusqu’à quoi au fait ? Qu’il n’explose, ou qu’au contraire les eaux s’apaisent et se reposent ? Comme un symbole, encore : le mari, architecte, est justement en train de construire un barrage.
Surtout, Remous est un film de regards, croisés ou évités. On n’y parle pas beaucoup, et les paroles sont le plus souvent noyées sous une musique très présente, très puissante. Un peu gênante d’abord, et puis on réalise la futilité des rares paroles, et la force des images. Gréville revendiquait lui-même cette volonté de raconter par l’image, en digne héritier des réalisateurs du muet. Aux dialogues, il préfère l’évocation symbolique, multipliant les gros plans évocateurs qui disent plus que de longs discours sur l’état d’esprit des personnages.
Direct et délicat, inspiré et audacieux, Remous est un film puissant et profond, et très émouvant ce qui ne gâche rien.