Bagarres – de Henri Calef – 1948
Etrange titre pour ce film où on n’assiste à peu près à aucune bagarre, si ce n’est un bref affrontement qui n’excède pas les cinq secondes à l’écran. Mais il est question d’affrontements, sourds et silencieux, entre à peu près tous les hommes de la distribution, tous membres d’une même petite communauté, et prêts à s’entretuer pour les faveurs d’une belle jeune femme.
C’est en tout cas la seconde moitié de ce film assez fascinant de Henri Calef, cinéaste un peu tombé dans l’oubli. La première est tout aussi tendue, mais sur un autre registre : la belle, Carmelle (jouée par Maria Casarès) est poussée par le jeune homme qu’elle aime à se mettre au service du riche paysan de la région, réputé pour profiter de sa position avec les femmes. Si elle pouvait se le mettre dans la poche et en profiter financièrement…
Le regard sombre et triste de Maria Casarès est magnifiquement filmé, femme fière et sacrifiée qui n’aspire qu’à la liberté dans ses montagnes, et qui est confrontée à la mesquinerie et à la brutalité des hommes. Le riche paysan d’abord, formidable Jean Brochard, dont Calef révèle le côté pathétique et solitaire derrière la pure brutalité. On le découvre abattant son chien devenu trop vieux. « Ce qui ne me sert plus à rien ne me donne jamais d’émotion », lance-t-il, bravache.
Mais Calef sait capter par de petits détails, des silences surtout, une vérité plus nuancée derrière les apparences : la dureté du riche Rabasse, ou la bonté de son employé Giuseppe (Edouard Delmont). Il filme un monde dur, où les femmes font ce qu’elles peuvent pour surnager, sans pouvoir trouver de réconfort dans ce qui leur sert de foyer (un « frère » joué par Mouloudji, plus menaçant que rassurant). Même la musique de Kosma, lyrique et romantique, apparaît comme étouffante tant elle est présente par moments.
Calef ne laisse guère de place pour la légèreté, n’accordant à son héroïne que de brèves respirations solitaires dans les montagnes. L’amour n’est pas loin, bien sûr, mais il sera d’emblée marqué par le destin. Vrai film noir. Beau film cruel.