12 hommes en colère (Twelve angry men) – de Sidney Lumet – 1957
Voilà le genre de classiques qu’on peut voir et revoir à tous les âges, sans jamais se lasser, et en découvrant à chaque nouveau visionnage de merveilleux détails encore jamais vus. 12 hommes en colère est un film formidable, et ce n’était pas gagné, tant le projet pouvait sembler piégeux : l’adaptation d’une pièce de théâtre à succès, dont le procédé même était éminemment théâtral, et absolument pas cinématographique.
Unité de lieu : la salle de délibération d’un jury de procès, dont on ne sort que dans les deux premières minutes et les trente dernières secondes. Unité de temps : celui de la délibération, filmé en temps réel et sans coupure. Un nombre de personnages limité : douze. On fait plus facile, particulièrement pour un premier film. Mais Lumet, cinéaste débutant, donc, signe un film d’une densité et d’une fluidité exceptionnelles.
Sa mise en scène paraît très classique, sans aucun effet facile, presque effacée. Elle est en fait d’une précision extrême, effaçant avec évidence les contraintes liées à un espace confiné, et à un scénario bâti sur des répétitions : les mêmes faits que l’on ressasse constamment, les efforts faits pour convaincre, et les votes qui reviennent tout au long du film, jamais filmés de la même manière, avec des détails qui, subrepticement, modifient le rapport de force et influent sur le ton.
Avec ces douze jurés qui refont entre eux le procès d’un jeune homme accusé d’avoir tué son père, Lumet semble mine de rien concentrer l’humanité dans ce qu’elle a de plus diverse. L’Amérique en tout cas, avec toute sa complexité. D’un côté, le juré n°8 : Henry Fonda, incarnation parfaite de l’individu prêt à affronter la masse pour faire triompher la justice, même si elle ne se base que sur le doute. De l’autre, le juré n°10 : Ed Begley, symbole de l’intolérance raciste et aveugle. Entre les deux, dix nuances d’Américains…
Chacun des jurés représente en effet un type de personnages. Mais loin d’être caricatural, ce choix donne un aspect universel à cette longue conversation souvent tendue, parfois borderline, toujours humaine. Lumet caractérise chacun de ces personnages avec une précision extrême, s’attachant à l’humanité de chacun d’entre eux dans toute sa complexité, et tirant le meilleur de chacun des acteurs : Jack Warden, E.G. Marshall, Martin Balsam… Coup de cœur particulier pour Lee J. Cobb, extraordinaire grande gueule gorgée de haine.
La réussite du film tient aux personnages bien sûr, mais aussi à la tension que Lumet réussit à insuffler, à son sens du cadrage, à sa manière de rapprocher ou d’éloigner les jurés par la caméra, de faire ressentir la chaleur étouffante de cette soirée d’été. Tout ça tient dans les détails donc, dans cette lumière qui baisse régulièrement tout au long du film, dans la sueur qui coule sur un front, dans la longueur des silences. La naissance, passionnante, d’un grand cinéaste.