La Nuit fantastique – de Marcel L’Herbier – 1942
Un étudiant en philosophie, contraint de travailler la nuit aux halles pour payer ses études, est tellement fatigué par son rythme de vie qu’il s’endort à la moindre occasion, et plonge dans des rêves où lui apparaît immanquablement une silhouette blonde, toute de blanc vêtue, dont il tombe profondément amoureux.
Toute la première partie du film est absolument magnifique : cette espèce de triangle amoureux entre le jeune homme (Fernand Gravey, formidable), une fiancée rêche et cassante (Christiane Nère) et une apparition fantomatique (Micheline Presle) inspire à L’Herbier un marivaudage lunaire et poétique enthousiasmant, où le verbe (superbes dialogues d’Henri Jeanson) et le jeu des acteurs, Gravey en tête, insufflent un charme irrésistiblement désuet. Et comme il y a Bernard Blier qui joue les témoins de cet étrange drame avec la gouaille réaliste qu’on lui connaît, le film atteint réellement des sommets.
Puis, les irruptions sporadiques des rêves tandis que le héros somnole finissent par devenir le corps du film, lorsque les somnolences se transforment en sommeil profond. Là, le film se révèle plutôt convainquant, et souvent fascinant. Ce qui pourrait aussi être traduit par «partiellement réussie ». Les premiers pas dans ce long rêve sont en tout cas étonnants : quand Fernand Gravey franchit les portes de ce premier bar, c’est un peu comme si L’Herbier, qui rend ici un hommage vibrant au cinéma des origines de Méliès, annonçait les occupants de la Loge Noire dans Twin Peaks : perception brouillée, dialogues dits à l’envers, absurde assumé… L’Herbier s’impose en précurseur inattendu de David Lynch.
Tout n’est pas du niveau de cette première scène, cela dit. L’ambition immense du film est parfois contredite par une approche esthétique un peu timorée. Mais quand L’Herbier désaxe ses cadres, insiste sur le phrasé traînant de Saturnin Fabre ou confronte ses personnages à des visions nocturnes coupées de toute réalité, cette Nuit fantastique atteint des sommets que peu de cinéastes approcheront dans les décennies suivantes.
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