Ce n’est qu’un au revoir / Voyage sans retour (‘Till we meet again) – de Frank Borzage – 1944
Nettement moins connu que Three Comrades ou The Mortal Storm, deux superbes drames sur les ravages du Nazisme, ‘Till we meet again n’en est pas moins une grande réussite qui porte évidemment la marque de Borzage, grand cinéaste d’une délicatesse décidément infinie. On hésite à parler d’une histoire d’amour ici, tant cette histoire d’amour est radicalement impossible entre les deux personnages principaux…
Dans la France occupée, donc, un aviateur américain se réfugie dans un couvent pour échapper aux Allemands. L’une des sœurs, qui vit là depuis ses 8 ans, doit se résoudre à sortir de ce couvent qu’elle n’a plus quitté depuis son arrivée, pour aider l’Américain à quitter le pays. A priori déjà, une histoire d’amour entre un soldat et une religieuse est impossible… Mais si on ajoute un passif douloureux entre la jeune femme et les hommes, et une épouse que le soldat évoque avec une tendresse immense…
Pas de happy end hollywoodien possible entre ces deux-là donc, on le sait d’emblée. Pourtant, ou peut-être grâce à cette certitude, la relation qui se noue entre eux est d’une beauté ravageuse. Elle est belle cette scène où, dans la maison où ils se sont réfugiés, la jeune femme réalise le bonheur de vivre au plus près d’un homme, dans cette famille éphémère qu’ils se sont créés. Et il est magnifique ce regard de l’homme, Ray Milland, posé sur cette femme, Barbara Britton, dont il sait qu’il ne la reverra pas.
C’est toute la puissance du cinéma de Borzage qui se concentre dans ce simple regard, qui véhicule tellement plus d’émotion que n’importe quel long discours. La pureté des sentiments exacerbés dans un contexte de violence et de haine… Et là aussi, Borzage révèle une sensibilité extrême, dans son refus de déshumaniser totalement le personnage de l’officier allemand, monstrueux mais pas dénué de sentiments.
Dans la scène où il annonce vouloir « utiliser » trois jeunes religieuses de 15 ans, il est terrifiant. Et l’évocation de ce qui pourrait advenir de ces adolescentes est plus dure peut-être que toutes les exactions auxquelles on assiste réellement. Ce qui n’empêche pas Borzage de filmer son trouble lorsque ses hommes abattent par mégarde la mère supérieure du couvent, scène terrible, qui propulse la jeune religieuse en dehors de son refuge.
Tout au long du film, on retrouve la délicatesse de Borzage, dans sa manière de filmer le visage si doux et pur de Barbara Britton, ou le regard las et tendre de Ray Milland. Dans des détails aussi : cette tache de sang que Milland essuie sur la joue de Barbara Britton ou, plus tôt dans le film, les colombes qui s’envolent lorsque les jeunes religieuses sont troublées dans leurs prières par des coups de feu… Du beau, du grand Borzage.