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Archive pour novembre, 2022

Titanic (id.) – de James Cameron – 1997

Posté : 12 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1990-1999, CAMERON James | Pas de commentaires »

Titanic 1997

A la fin, le bateau coule. Ok, ce n’est pas le plus grand divulgachage de l’histoire du cinéma, surtout que le film commence par des images de l’épave gisant au fond de l’Atlantique. De la vraie épave d’ailleurs, soit dit en passant : Cameron est bel et bien descendu dans les bas-fonds de l’océan pour filmer ce Titanic qui le fascine depuis longtemps, et auquel il consacrera un documentaire quelques années plus tard. Mais ce n’est pas l’objet, encore que…

Le bateau coule à la fin, donc, et ce n’est pas le seul élément de l’histoire que Cameron nous dévoile d’emblée, dès cette première (longue) séquence, au cours de laquelle on découvre, de nos jours, des pilleurs d’épave à la recherche d’un bijou hors de prix qui doit reposer dans un coffre enfermé dans l’épave depuis 1912. Il n’y est pas, bien sûr, mais à la place, c’est l’âme du Titanic qu’ils vont découvrir grâce à leur rencontre avec une adorable centenaire qui s’avère être une survivante.

Mine de rien, ce prologue nous dévoile ce que deviendra son personnage après avoir survécu au naufrage, mais aussi en creux le destin de plusieurs autres personnages. Il nous explique aussi, images de synthèses à l’appui, comment le bateau a commencé à s’enfoncer, comment il s’est redressé, s’est cassé en deux, et combien de temps tout ça a prix. Comme un rappel des faits que le film va ensuite raconter. Après ça ? Eh bien après ça il n’y a plus qu’à laisser le talent de conteur de Cameron faire le reste.

Et il est immense, ce talent. Cameron est un conteur hors pair, qui réussit à garder une intensité folle et une fluidité parfaite tout au long de ses trois heures de films, mêlant dans un même mouvement un grand film romantique, un film catastrophe bien sûr, mais aussi l’évocation d’une société en pleine mutation : il y a des allures de fin d’un monde dans cette vision d’une grande bourgeoisie auto-érigée en maîtresse du monde, dominant au propre comme au figuré des prolétaires qui ne demandent qu’à prendre un peu de pouvoir.

Fasciné par le Titanic comme par cette atmosphère de fin de monde, Cameron nous partage d’emblée sa fascination en confiant le rôle de la Rose d’aujourd’hui à Gloria Stuart, vue six décennies plus tôt chez James Whale (La Maison de la Mort et L’Homme Invisible) ou John Ford (Air Mail et Je n’ai pas tué Lincoln), invoquant à travers son passé le destin de son personnage, mais aussi un Hollywood depuis longtemps disparu.

Il nous fascine aussi par la somptuosité de la reconstitution (le Titanic reconstruit presque à taille réelle, avec une grande attention portée au détail), certes très coûteuse mais totalement au service de l’histoire et surtout de l’atmosphère, de cette sensation que l’on a d’avoir réellement découvert le Titanic, avec l’émotion qui vous serre le cœur quand les images du bateau reconstitué se fondent dans des images de la véritable épave. Fascinant.

Il y a aussi cette manière dont Cameron symbolise l’opposition de deux mondes et la fin annoncée de l’un d’eux à travers l’histoire d’amour de Rose et Jack, idéalement interprétés par une Kate Winslet qui hurle silencieusement dans son corset, et un Leonardo Di Caprio incarnation parfaite de la liberté et de la générosité. Un grand couple romanesque dans la tradition du vieil Hollywood, pour une grande fresque dans la tradition du vieil Hollywood. Et oui, le bateau coule à la fin, comme les larmes de tout spectateur normalement constitué.

L’Affaire Thomas Crown (The Thomas Crown Affair) – de Norman Jewison – 1968

Posté : 11 novembre, 2022 @ 8:00 dans * Polars US (1960-1979), 1960-1969, JEWISON Noman | Pas de commentaires »

L'affaire Thomas Crown

Franchement, je ne crois pas une seconde en ce personnage de riche homme d’affaire qui organise des braquages de banques pour se distraire. Franchement, je ne crois pas une seconde en cette enquêtrice d’assurances qui tombe sous le charme de sa proie après avoir mis quelques minutes à peine à l’identifier. Pourtant, L’Affaire Thomas Crown est un film passionnant, et fascinant. Etrange, non ?

Norman Jewison lui-même a dit que pour ce film, la forme était plus importante que le fond (source Wikipédia, c’est dire si c’est fiable). C’est effectivement la forme qui fascine. Moins, sans doute, les allusions sexuelles très, très lourdement appuyées de la fameuse scène des échecs entre Faye Dunaway et Steve McQueen, que l’utilisation du split-screen, pour laquelle le film est entré dans la légende.

Jewison n’est pas le premier cinéaste à utiliser ce dispositif qui consiste à séparer l’écran en plusieurs images (Loïs Weber l’a fait plus d’un demi-siècle avant lui, dans Suspense), et bien sûr par le dernier (Richard Fleischer l’imitera quelques mois plus tard avec L’Etrangleur de Boston). Mais pas sûr qu’il ait été surpassé : jamais gratuit, jamais répétitif, jamais pesant, ce dispositif participe au rythme et à l’atmosphère de ce faux thriller dont le suspense tourne court, Jewison ne s’intéressant qu’à créer de beaux moments de cinéma.

Cela se sent dans les premiers face à face entre ses deux stars, où le cinéaste s’amuse à souligner la tension sexuelle avec un regard que n’aurait pas renié Hitchcock. Ou dans sa manière de faire se répondre les deux scènes de braquage : la première avec une méticulosité virtuose, la seconde étant expédiée de manière assez radicale. Et partout, l’envie manifeste de créer de grands moments, à la manière du Hawks du Grand Sommeil.

Le film est aussi resté célèbre pour The Windmills of your mind, la fameuse chanson de Michel Legrand (qui signe toute la bande originale), qui rythme le film en opposition totale avec ce que l’on peut attendre de la bande son d’un thriller. Jewison joue avec les clichés, surligne le sex-appeal dévastateur de ses deux stars, et fait de son Thomas Crown un pur moment de cinéma jubilatoire.

EO (IO) – de Jerzy Skolimowski – 2022

Posté : 10 novembre, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, SKOLIMOWSKI Jerzy | Pas de commentaires »

EO

Cinéaste rare, le Polonais Jerzy Skolimowski a remporté le Prix du Jury au dernier festival de Cannes, la fameuse « Palme du cœur ». Et du cœur, il y en a dans ce film vu par les yeux d’un âne, et inspiré du Au hasard Balthazar de Bresson, dont Skolimowski dit que c’est le seul film qui l’a fait pleurer dans sa vie.

Adopter le point de vue d’un animal… Rien à voir avec le Cheval de guerre de Spielberg, où le cheval est finalement avant tout une astuce scénaristique pour passer d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre. Skolimowski va beaucoup, beaucoup plus loin, faisant réellement de l’âne EO son personnage principal, et son narrateur. Et plus il va loin dans cette démarche, plus le film est beau.

EO raconte donc les tribulations de cet âne qui porte un regard totalement dénué de jugement mais plein d’incompréhension sur le monde qui l’entoure, alors que les hasard et accidents de sa vie l’amènent à traverser l’Europe. On le découvre dans un cirque ambulant, où il fait équipe avec une jeune femme qui le traite avec amour… et dont il est séparé par l’intervention de défenseurs des animaux.

Skolimowski est un défenseur des animaux, pas de doute là-dessus. Pourtant, on sent bien qu’il n’a pas une admiration sans borne pour ces militants qui privent son héros de l’affection de la jeune femme. Pas plus que pour qui que ce soit d’ailleurs. L’âne ne juge pas, mais on n’est pas bien sûr de pouvoir dire la même chose du cinéaste qui, à travers le regard de son drôle de héros, filme une humanité à peu près unanimement hostile.

C’est d’ailleurs quand l’âne s’enfonce au plus profond de la nature, belle et sauvage, que le film est le plus beau, le plus intense, le plus vivant même. Dans ces moments, le cinéaste radicalise son esthétisme, et nous entraîne dans une espèce de trip sensoriel sublime et fascinant, qui évoque les plus grands moments de David Lynch ou Bella Tarr. A ceci près que lui ose un décalage du point de vue vers le règne animal, ce qui est quand même assez audacieux.

Et convainquant, même si Skolimowski verse volontiers du côté de l’anthropomorphisme, jouant avec le regard et les réactions de son héros, et nous livrant des visions des souvenirs heureux de l’âne. Là, franchement, on pourrait faire la moue. Mais non : la sincérité du propos est telle qu’on se laisse embarquer par l’émotion, et qu’on finit par voir les retours réguliers à la civilisation, et à un style plus classique, comme l’irruption de dangers potentiels.

Il faut dire que l’humanité filmée par Skolimowski est gratinée : du violent, de l’aviné, du haineux… Qu’ils soient fermiers, pompiers, chasseurs, ou supporters de foot, la quasi-totalité des personnages humains du film ne font qu’utiliser les animaux ou les envoyer à la mort. Le film marque d’ailleurs par son utilisation très parcimonieuse de la violence, qui apparaît souvent sans qu’on s’y attende, brisant brutalement des moments de grâce ou de douceur.

Rares sont les personnages qui trouvent grâce aux yeux du réalisateur. Le jeune prêtre, peut-être, qui semble vouloir offrir à EO une retraite paisible, dans une espèce de havre de paix italien. Mais ce havre cache l’un de ces drames amoureux humains totalement incompréhensibles pour un animal comme cet âne, avec une Isabelle Huppert qui apparaît tardivement (et inutilement longuement, comme si Skolimowski voulait profiter de la participation de l’actrice), diva ramenant le jeune prêtre à un drame tristement banal.

Ne serait-ce que pour la forme, extraordinaire et rare, EO est une merveille. Et il y a un peu plus que ça : la vision délicieusement sincère d’un jeune cinéaste octogénaire, dont l’audace et la maîtrise de son art font un bien fou, comme un appel à tous les cinéastes du monde : osez, allez au bout de vos visions ! Skolimowski a 84 ans, et il a l’enthousiasme d’un jeune artiste sans le moindre cadre. C’est beau.

La Lune s’est levée (Tsuki wa noborinu) – de Kinuyo Tanaka – 1955

Posté : 9 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1950-1959, TANAKA Kinuyo | Pas de commentaires »

La Lune s'est levée

Lettre d’amour, le premier film de Kinuyo Tanaka en tant que réalisatrice, m’avait laissé à peu près dans le même état que son personnage principal, sous le choc d’une révélation magnifique dans le taxi qui l’emmenait vers celle qu’il aime… Autant dire qu’il me tardait de découvrir la suite de son œuvre. Avec La Lune s’est levée, le deuxième de ses six films derrière la caméra, la cinéaste va plus loin encore dans l’épure et la simplicité, pour une nouvelle merveille tout aussi aboutie.

Le film est clairement placé sous le parrainage d’Ozu, avec qui l’actrice Kinuyo Tanaka a plusieurs fois collaboré (de J’ai été diplômé, mais… aux Sœurs Munakata, une dizaine de films en commun depuis 1929, et Fleurs d’équinoxe suivra). C’est lui qui signe le scénario de La Lune s’est levée, dont le thème n’est pas sans rappelé celui du sublime Voyage à Tokyo tourné deux ans plus tôt. Le grand Chishu Ryu retrouve d’ailleurs ici un rôle assez similaire, quoi que plus en retrait.

Celui d’un père vieillissant et veuf, dont les filles sont en âge de voler de leurs propres ailes et de quitter la demeure familiale dans une petite ville paisible, pour créer leur propre destin dans le tumulte de Tokyo. Tokyo dont, pour le coup, on ne voit rien, même si son aura est omniprésente. Le film de Kinuyo Tanaka oppose bien ces deux modes de vie : l’effervescence d’une grande ville à la quiétude d’une ville de province. A ceci près que tout le film se déroule dans une sorte d’entre deux, comme si les quelques semaines durant lesquelles se déroule l’histoire étaient l’antichambre d’une autre existence.

Dès les premières scènes, la réalisatrice rend perceptible cet état d’entre-deux. Tous les personnages semblent être à l’aube de quelque chose : sur le point de partir, ou simplement de passage. Il y a quelque chose de l’atmosphère d’une fin d’été dans ces moments anodins, ces soirées qui s’étirent au clair de lune, et cette conscience soudaine que le temps est compté, que les occasions qui se présentent resteront uniques.

Le film se concentre sur trois sœurs, les trois filles de Chishu Ryu. L’aînée est une veuve qui n’ose espérer une seconde chance. La cadette affirme à qui veut l’entendre que le mariage ne l’intéresse pas. La benjamine, pleine de vie, est bien décidée à jouer les entremetteuses pour que son aînée et ce jeune homme qui l’a connue bien des années avant se déclarent leur flamme. En oubliant au passage ses propres sentiments pour un autre homme qui s’apprêtent à partir…

Ce thème de l’occasion qui ne se représentera plus, et du temps qui passe n’offrant que de rares parenthèses, est magnifiquement résumé lors de la rencontre arrangée au clair de lune entre la cadette et celui qui n’a jamais oublié leurs rencontres d’autrefois. « On a déjà vécu ce moment », lui souffle-t-il, avant d’ajouter : « J’étais aussi à la veille d’un départ ». C’est simple, sobre, délicat, et magnifique.

Magnifique aussi, la manière dont Kinuyo Tanaka filme les mouvements, cadrant une main qui en saisie une autre, un visage qui se dissimule, un regard qui se trouble, les détails de gestes traditionnels mille fois répétés. Il y a là une sorte de sérénité associée très intimement à une urgence absolue, et c’est, encore une fois, d’une très grande beauté.

Un punch à l’estomac (So this is love ?) – de Frank Capra – 1928

Posté : 8 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Un punch à l'estomac

Une jeune vendeuse raide dingue du champion de boxe local, rustre imbu de sa propre personne. Un jeune artiste trop discret secrètement amoureux de ladite jeune vendeuse… Voilà une petite bluette charmante qui a le mérite de la simplicité. En moins d’une heure, Capra nous emballe cette comédie craquante et marrante avec un rythme imparable et un vrai talent comique qui emportent tout.

Il fera plus personnel et plus original à l’avenir, dès ses derniers films muets. Mais ce Capra un peu anecdotique n’en est pas moins une très chouette comédie, qui utilise à merveille le joli minois malin de Shirley Mason, qui dépasse rapidement son personnage de jeune amoureuse un peu aveugle pour devenir le véritable moteur du film, tout sauf nunuche pour le coup. Il faut la voir gaver (littéralement) le boxeur dont elle a vite compris la vraie nature, pour éviter à celui que finalement elle aime de se faire massacrer.

Moins d’une heure de métrage, donc, et près de la moitié consacrée au seul combat de boxe final, vers lequel tout le film converge. Comment un artiste poltron va se retrouver sur le ring face à un authentique champion ? C’est tout le problème que résout habilement Capra dans la première partie de son film, avant d’entrer dans le vif du sujet. Et dès l’arrivée dans les vestiaires, une parenté frappante apparaît : celle avec les combats de boxe filmés par Chaplin.

Sans doute Charlot boxeur a-t-il inspiré Capra : le fer à cheval qu’est tenté d’utiliser le héros joué par William Collier Jr ressemble à un clin d’œil à peine déguisé, tout comme le pain et les saucisses avec lesquels il sort de l’épicerie où travaille celle qu’il aime. L’espèce de « danse » à laquelle se livrent les deux combattants à peine montés sur le ring, en revanche, annonce la fameuse scène des Lumières de la Ville, que Chaplin tournera trois ans plus tard. De là à imaginer que l’influence a été réciproque…

Deux fils – de Félix Moati – 2018

Posté : 7 novembre, 2022 @ 8:00 dans 2010-2019, MOATI Félix | Pas de commentaires »

Deux fils

Après le magnifique Lettre d’amour de Kinuyo Tanaka, on reste dans les premiers films avec ce très beau film signé par l’acteur Félix Moati. Il n’a que 28 ans quand il passe derrière la caméra, mais Deux fils affiche une étonnante maturité, dans sa manière de filmer des rapports familiaux intenses… et pas simples.

Benoît Poelvoorde est formidable dans un rôle de père célibataire totalement paumé, qui ne comprend plus vraiment le monde qui l’entoure, les personnes qui l’entourent, y compris ses deux fils, l’un jeune ado en révolte, l’autre tout jeune homme en pleine déprime, Vincent Lacoste et Mathieu Capela tout aussi formidables.

L’incompréhension entre les êtres les plus proches, l’incapacité à partager ses sentiments… et pourtant un amour fou, une admiration sans borne, que l’on ressent constamment dans cette famille très imparfaite et magnifique, pleines de failles et de grandeurs. Pathétiques ou sublimes ? Pour Moati, les deux vont de pairs, et c’est très beau.

Très beau la manière dont on découvre ces personnages : dans l’antichambre des pompes funèbres où Poelvoorde se glisse difficilement dans le cercueil prévu pour son frère qui vient de mourir, sous le regard de son plus jeune fils. Ce fils de 13 ans à peine, qui cultive son spleen à grandes lampées d’alcool plus ou moins fort. Et ce grand frère qui s’apitoie confortablement sur un amour depuis longtemps disparu.

Rien de bien spectaculaire dans le fond. Mais Moati filme ses personnages avec une liberté qui lui autorise tous les pas de côtés, toutes les pauses, suivant les pas de l’un ou de l’autre au gré des rencontres, des doutes, des coups de passion et des sentiments qui se révèlent ou se réveillent, au son d’une musique très jazzy et elle aussi très libre.

Le film dépeint avec finesse, émotion et profondeur cette insondable cellule familiale. Avec une certaine gravité mais sans lourdeur. Avec une touche de légèreté et un humour souvent irrésistible (Vincent Lacoste face à la psy du lycée… une stagiaire… la remplaçante du remplaçante). Un premier film très séduisant, à la belle atmosphère, qui donne envie de revoir Moati derrière la caméra.

Lettre d’amour (Koibumi) – de Kinuyo Tanaka – 1953

Posté : 6 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1950-1959, TANAKA Kinuyo | Pas de commentaires »

Lettre d'amour

250 films à son actif entre le muet et les années 70, des collaborations régulières avec Naruse, Mizoguchi et la plupart des grands cinéastes japonais… Kinuyo Tanaka est l’une des plus grandes actrices de son pays, et l’une des très rares à être passé derrière la caméra durant cette période bénie pour le cinéma japonais. Lettre d’amour est le premier des six films qu’elle tourne entre 1953 et 1962, et c’est une merveille.

Comme souvent dans le cinéma japonais, il est question du passé, et de la trace qu’a laissé la seconde guerre mondiale sur le pays. Le héros, Reikichi, est un vétéran qui survit plus qu’il ne vit vraiment depuis la fin du conflit, vivotant au crochet de son jeune frère, hanté par le souvenir d’une femme qu’il aime depuis toujours mais qui a dû se marier à un autre. Apathique, hagard, il erre dans les ruelles étroites de Tokyo, ne s’aventurant guère en dehors de ce quartier à l’ancienne où il a trouvé un petit boulot grâce à un ami : il écrit des lettres d’amour pour des femmes désireuses de soutirer un peu d’argent aux Américains avec lesquels elles ont eu des aventures…

Kinuyo Tanaka filme ce quartier traditionnel non pas comme un refuge, mais comme un lieu coupé du vrai monde, en l’occurrence ce Japon définitivement gagné par le mode de vie occidental, des rues pleines de voitures, de bruits et de mouvements. Son personnage ne s’y aventure réellement qu’une fois, s’y précipitant comme on saute dans le vide, pour rattraper ce fantôme du passé qui lui est apparu.

Les retrouvailles entre Reikichi et Michiko, son amour perdu, sont d’une beauté renversante, merveille de douleur renfermée et d’un romantisme contrarié, avec cette lumière qui baigne la scène à la verticale, trop vive, comme les sentiments que ressentent les deux personnages. C’est beau et triste à la fois, c’est bouleversant. Bouleversant aussi, la bonté qui entoure Reikichi : ce frère et cet ami qui se démènent pour le sortir de sa torpeur, pour réparer ce qui peut l’être.

Intelligence de la mise en scène, intensité du récit, une émotion qui emporte tout… Lettre d’amour est un magnifique premier film, la naissance d’une cinéaste qui impose d’emblée un style bien à elle. C’est ce qu’on appelle une révélation.

Justice pour tous (… And Justice for all) – de Norman Jewison – 1979

Posté : 5 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1970-1979, JEWISON Noman, PACINO Al | Pas de commentaires »

Justice pour tous

Norman Jewison ne fait pas toujours dans la dentelle. Mais il a un ton, une manière assez personnelle mine de rien de s’emparer de genres très codifiés du cinéma américain et de s’en amuser, quitte à se défaire de toute nécessité d’être réaliste. Le personnage principal de Justice pour Tous s’inscrit dans cette tradition des personnages « jewisoniens » (comme le Steve McQueen de Thomas Crown) qui flirtent avec la caricature, incarnant une sorte d’idéal.

Un avocat en l’occurrence, grande figure du cinéma hollywoodien, qu’Al Pacino incarne comme un être pur au service de clients forcément innocents. Toujours et incontestablement innocents. Naïf ? Oui, un peu. Radical ? Oui, aussi : Jewison filme la justice comme une foire où la folie guette à tous les postes. Pacino est une figure intègre qui se débat comme il peut dans un monde qui semble n’être fait que de mensonges, de manipulation, de cynisme…

Mais le film se révèle fort et nuancé, dans sa manière de présenter la justice dans ce qu’elle a de meilleur et de pire. Humaine au fond, et dépendante de ceux qui la rendent : des hommes et des femmes, avec leurs failles. L’histoire est assez passionnante : belle idée d’amener le jeune avocat à défendre un juge qui n’a cessé de l’humilier et qu’il fait. Mais c’est la manière dont Jewison évoque les failles de ces représentants de la justice chez qui tout le monde attend l’infaillibilité qui convainc le plus dans ce film de procès passionnant, genre qui n’a cessé de se réinventer.

Risky Business (id.) – de Paul Brickman – 1983

Posté : 4 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1980-1989, BRICKMAN Paul, CRUISE Tom | Pas de commentaires »

Risky Business

Avant Top Gun, il y eut Risky Business, premier gros succès pour Tom Cruise, film devenu culte grâce à une scène, qui fit de l’acteur de 21 ans l’une des coqueluches de l’Amérique d’alors : Cruise, en chemise et caleçon, les mollets bien en valeur, se lançait seul dans une danse évocatrice au son de la chanson « To old time rock & roll ».

Presque quarante ans plus tard, le film surprend encore par l’audace de son propos : c’est quand même l’histoire d’un fils de bonne famille, bien propre sur lui (il s’appelle Joel Goodson, c’est dire), qui abandonne joyeusement toutes ses illusions d’enfant pour se lancer dans le capitalisme en devenant mac à succès après sa rencontre avec une jolie prostituée (Rebecca De Mornay, la petite amie d’alors de Tom). Difficile de faire plus cynique.

Cela étant dit, le film, formellement, est très marqué par l’esthétique des années 80, dont Cruise devient instantanément l’une des grandes figures, avec son sourire tout en dents, ses lunettes de soleil et sa joyeuse insolence. Ce n’est pas déplaisant, c’est même assez amusant par moments, particulièrement dans la première partie où le jeune homme bien comme il faut se retrouve confronté à des tentations auxquelles il n’est pas habitué. Mais ça ne va jamais plus loin.

A vrai dire, Risky Business serait sans doute tombé dans un oubli éternel (et pas immérité) s’il ne marquait pas justement l’éclosion de celui qui allait devenir la plus grande star de sa génération. Il lui faudra toutefois attendre trois ans et le triomphe de Top Gun pour que les portes de la gloire s’ouvrent bien grandes pour lui.

Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and old lace) – de Frank Capra – 1941-1944

Posté : 3 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1940-1949, CAPRA Frank | Pas de commentaires »

Arsenic et vieilles dentelles

Bien sûr, il y a plus qu’un style Capra, il y a un état d’esprit, des thématiques qui habitent une très grande partie de son œuvre dès sa période muette (The Power of the Press), et jusqu’à ses films d’après-guerre (La Vie est belle, bien sûr) : une manière de critiquer les dérives de la société à travers des fables sociales drôles et enlevées.

Arsenic et vieilles dentelles fait partie des très grandes réussites du cinéaste, et le film porte bien sa signature : on le sent constamment dans le rythme de sa mise en scène, dans ce mélange si savamment dosé de burlesque débridé et d’un réalisme pas loin d’être sordide. Dans son décor aussi, qui semble sorti d’un conte de notre enfance, avec ce cimetière d’un autre temps qui sépare les maisons familiales de deux jeunes amoureux. Pourtant, c’est un film sans équivalent dans la filmographie de Capra, qui n’est jamais allé aussi loin dans la comédie pure et dans l’humour noir.

Une farce, plus qu’une fable. Avec cette adaptation d’une pièce de Broadway à succès, Capra lâche la bride et et n’hésite pas à mettre un pied dans l’outrance. Et c’est à Cary Grant, qu’il n’avait encore jamais dirigé (et qu’il ne dirigera plus jamais) qu’il confie le rôle principal. Le choix n’est pas anodin : c’est le Cary Grant des screwball comedies de Hawks qu’a choisi Capra, et qu’il pousse très loin, au bord de l’autocaricature.

Et voilà quelque chose que Grant maîtrise parfaitement, immense acteur comique qui n’est jamais aussi drôle que quand il va loin. Sa manière de surjouer serait du cabotinage éhonté pour à peu près n’importe qui d’autre. Lui en fait un chef d’œuvre d’interprétation comique. Sa prestation est la colonne vertébrale de la folie du film, l’histoire d’un jeune marié qui réalise que ses adorables tantes dézinguent des vieux messieurs trop seuls, par charité.

A vrai dire, toute la distribution est ainsi basée sur une idée proche de la caricature. Priscilla Lane séduit en surjouant les yeux de biches. Jean Adair et Josephine Hull ne sont formidables que parce qu’elles sont l’incarnation des vieilles dames au grand cœur. Jack Carson est irrésistible dans son rôle de flic forcément un peu benêt. Peter Lorre inquiète avec son bagage de psychopathe bien rodé depuis M le maudit. Et Raymond Massey bien sûr, sosie de la créature de Frankenstein agacé d’être constamment comparé à Boris Karloff.

On aurait bien tort de chercher autre chose dans ce film qu’une pure comédie. Capra laisse l’émotion de côté, ce qui n’est pas courant dans son cinéma. Et il signe un très grand classique comique qui déclenche des fous-rires à peu près incessants. Une merveille, et un film qui vous retape à coups sûr après une journée ou une semaine difficiles. Chef d’œuvre, respect, tout ça tout ça.

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