Bonne chance ! – de Sacha Guitry et Fernand Rivers – 1935
Guitry est un jeune cinéaste quasi-débutant de 50 ans quand il signe Bonne chance !, sa première comédie originale : il venait alors de tourner l’adaptation de sa pièce Pasteur, nettement plus austère. Il venait aussi de se marier (dans la vraie vie) avec la jeune actrice Jacqueline Delubac, à qui il donne la réplique ici. Et on sent bien que l’amour qui unit ces deux là nourrit le film, une pure légèreté dénuée du cynisme que l’on retrouvera souvent chez le cinéaste Guitry.
Dans Bonne chance !, tout est plaisir et joie : le plaisir communicatif que prennent les deux acteurs, Guitry tournant en dérision leur différence d’âge, son personnage se décidant même à adopter officiellement cette jeune femme pour qui il éprouve un amour qu’il imagine impossible. Quand elle lui dit que son rêve est d’aller à Venise, il s’y refuse, rappelant que Venise est une ville où on va pour faire quelque chose qu’ils ne feront pas, « parce que ne n’aime pas faire ça avec mes parents » précise-t-il, avant de répondre du tac au tac à la jeune femme qui lui demande où lui rêve d’aller : « à Venise » !
Il y a du Lubitsch dans cette histoire, dans le rythme que lui donne Guitry, que l’on sent gourmand, avide d’utiliser toutes les possibilités narratives de cet art cinématographique qu’il a si longtemps gardé à distance. Une scène, parenthèse inutile à l’intrigue et réjouissante comme Guitry en a le secret, résume cet enthousiasme presque enfantin : une caméra subjective filmant la route, embarquée sur une voiture, et la voix off de Guitry et Delubac qui discutent de cette vision qui évoque un plan de cinéma. « On m’a dit qu’on enregistrait les paroles ensuite au studio. – C’est bien invraisemblable. »
L’histoire elle-même pourrait être celle d’une grande comédie hollywoodienne, qu’aurait signé Lubitsch, ou Preston Sturges : un billet de loterie gagnant, que sa propriétaire décide de partager avec cet homme dont elle est persuadé qu’il lui a porté bonheur en lui criant « bonne chance ! » dans la rue, sans raison apparente. Et lui qui n’accepte qu’à condition qu’ils dépensent ensemble la moitié qu’elle lui laisse. Les voilà lancés dans un voyage de quelques jours, parenthèse merveilleuse avant qu’elle n’épouse celui auprès duquel elle s’est engagée…
C’est joyeux, et léger comme du champagne, et c’est brillant comme… eh bien comme du Guitry, cinéaste chez qui toutes les envolées semblent possibles, à l’image de cette valse aérienne dans laquelle Guitry se lance soudainement, alors qu’il traversait jusqu’alors le film avec une sorte de flegme. Soudain, les envolées de l’esprit deviennent celle du corps, et c’est un beau moment de grâce.