La femme du boulanger – de Marcel Pagnol – 1938
Pour Orson Welles, Raimu était le plus grand acteur du monde. Et c’est en grande partie grâce à La femme du boulanger que le réalisateur de Citizen Kane avait cet avis très tranché. Autant dire qu’il tenait en haute estime cette chronique méridioniale si anodine dans le propos, et si vive dans la forme.
Sur le fond, c’est une histoire d’une simplicité extrême : dans un petit village de Provence, le nouveau boulanger s’installe avec sa jeune et jolie épouse. A peine sont-ils arrivés que la belle s’enfuie avec un berger aussi jeune et beau qu’elle. Quand son mari comprend qu’il est cocu (et il lui faut du temps), il perd le goût de tout, y compris de faire du pain. Les villageois se mobilisent alors pour retrouver la femme du boulanger… et le pain par la même occasion.
Ce qui est surtout marquant dans ce film, c’est la vie qu’insuffle Pagnol dans ce microcosme où tout le monde se connaît, et où la camaraderie et les vieilles rancœurs sont également fortes. Ce qui est marquant aussi, c’est à quel point la drôlerie est intimement liée à la tristesse, et même à une certaine forme de cruauté.
La dernière séquence, la plus célèbre, illustre bien cette frontière si ténue entre légèreté et gravité : le boulanger, Raimu, invectivant la chatte qui avait disparu au début du film, abandonnant le chat de la boulangerie. « Garce, salope, ordure ! C’est maintenant que tu reviens ! » lance Raimu, sa femme retrouvée assise à côté de lui. Et lui, si tendre et naïf jusqu’à présent, qui baisse la garde et se livre pleinement sans y paraître, avec une rudesse qu’on ne lui avait pas vu venir.
Elle est forte cette scène. Un rien misogyne aussi, et un rien raciste lorsqu’il évoque les Chinois ou les Noirs, qui se ressemblent tous (c’était le bon temps des colonies, comme chantera l’autre). Mais elle bouscule, parce que mine de rien, elle nous montre le personnage de Raimu sans ce masque de bonté dont il ne s’est pas départi depuis le début du film.
Beau personnage, à la mesure de l’immense Raimu tour à tour drôle, gouailleur, pathétique et révolté. Autour de lui, Pagnol (sur un scénario inspiré de Giono) filme une galerie de seconds rôles attachants et finalement bien peu charitables, comme ce Marquis jouisseur que campe un Fernand Charpin haut en couleur, joyeusement cynique et politiquement très incorrect. A travers ce personnage (et celui du prêtre), Pagnol se moque ouvertement de la bienséance et de la religion.
Le ton, en tout cas, n’est jamais à la grande rigolade. Raimu adopte les attraits et les postures de Chaplin par moments (dont Les Temps modernes est encore tout frais dans les esprits), mais l’humour qui se dégage de son personnage et du film tout entier est constamment teinté d’une certaine amertume. Sous le soleil, plein de nuages.
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