Revoir Paris – d’Alice Winocour – 2022
Un attentat. Pas L’attentat. Pas tout à fait. Bien sûr, l’ombre pesante du 13 novembre est là, mais Alice Winocour fait un tout autre choix que la reconstitution fidèle des faits. Le bar où se déroule la tragédie est donc une sorte de condensé de toute l’horreur de ces tueries du 13 novembre. C’est un parti-pris fort, il y en a bien d’autres.
Le plus fort, sans doute, c’est de ne montrer non pas ce que le personnage principal a vu, mais ce dont elle se souvient. Le film, raconté à la première personne, commence pourtant au présent. Ce fameux soir de quasi-insouciance, où la légèreté semble être omniprésente. La caméra d’Alice Winocour capte cette légèreté par bribes, suivant le regard un peu absent de sa narratrice.
L’horreur surgit avec la soudaineté d’un coup de foudre. Ou plutôt d’une rafale. On n’en voit par grand-chose finalement, juste ce que le regard caché capte à travers la fumée, la poussière et les corps qui tombent. Et puis plus rien. « Après ça, je ne me souviens de rien » lance-t-elle en voix off, cette voix off qui reviendra régulièrement, plurielle, seules incartades hors du point de vue unique de cette femme au cœur des attentats.
Cette femme qu’incarne Virginie Efira avec la justesse et l’intensité dont je ne me lasse pas de vanter l’immensité. Une bonne fois pour toutes : elle est non seulement la plus grande actrice française du moment, la plus grande actrice tout court du moment, elle est aussi de l’étoffe d’une Vivien Leigh, capable comme elle d’incarner tous les degrés de la passion, de la légèreté ou de la douleur, avec une même justesse absolue. Bon. J’aime cette actrice, avec une ferveur que je n’avais plus ressenti depuis bien longtemps. Point.
Virginie Efira est donc de toutes les scènes, et elle incarne formidablement ce film, que la scénariste et réalisatrice bâti presque comme une enquête, mais dénuée de tout effet facile. En tentant de reconstituer les faits précis de cette soirée d’horreur, la jeune héroïne tente de se reconstruire elle-même. Et Alice Winocour évoque l’impossibilité de revenir en arrière, la rupture totale qu’un événement à ce point traumatique représente. Au fur et à mesure que les détails reviennent, tout ce qui a été la vie d’avant s’estompe pour disparaître.
Le mari impuissant, joué par Grégoire Colin, s’éloigne peu à peu, en même temps que le grand blessé joué par Benoît Magimel (décidément revenu au sommet) prend une place grandissante. Ce glissement se fait avec une délicatesse extrême. Délicatesse et pudeur : Alice Winocour marche sur le fil, mais ne glisse jamais, maintenant constamment cet équilibre de l’émotion, sans verser vers le larmoyant. Et avec quelques superbes idées narratives, comme cette visite en forme de retrouvailles devant les Nymphéas…
Revoir Paris est la première fiction inspirée par ces attentats du 13 novembre 2015. On pouvait raisonnablement craindre le pire, dans un cinéma français peu habitué à se pencher si tôt sur les traumatismes nationaux. Mais il y a une telle pudeur dans le traitement, et en même temps une telle envie de cinéma, que l’émotion qui s’en dégage, qui est immense (toujours le cœur serré au moment où j’écris ces lignes), n’est jamais mortifère.
Il y a une formidable soif de vie dans ce vie. Et la scène finale, dont je ne dirai rien ici, est d’une simplicité, d’une justesse et d’une beauté rares. Revoir Paris est extrêmement fort, mais c’est aussi un film qui vous réconcilie avec la vie, l’espoir et, oui, une certaine forme de légèreté.