Le Tourbillon de Paris – de Julien Duvivier – 1928
La période muette de Duvivier est décidément passionnante, révélant un cinéaste déjà au sommet de son art. De ce pan méconnu de sa filmographie, malgré son éclectisme, il se dégage quelques constantes, notamment l’utilisation courante des surimpressions. Cette signature visuelle atteint sans doute son apogée dans Le Tourbillon de Paris, où cette tendance à faire cohabiter deux plans différents sur la même image est poussée à l’extrême.
Faire resurgir des images du passé, souligner l’ivresse de la vie parisienne, confronter un personnage à ses fantômes, donner corps aux paroles d’une chanson révélant l’état d’âme d’une artiste… Duvivier utilise la surimpression en virtuose, s’en servant pour effacer avec naturel, et même évidence, les limites techniques du cinéma muet. Muet, vraiment ? Cette virtuosité du cinéaste donne le sentiment au contraire que Le Tourbillon de Paris est un film pleins de sons.
Le son de la neige qui crisse d’abord. C’est dans un décor enneigé que le film commence, dans un village de haute montagne isolé par la neige (Tignes, bien avant l’essor des stations de ski, encore un village coupé du monde), où s’est réfugiée une chanteuse parisienne dépassée par son propre succès. C’est là que son mari, un aristocrate écossais très à cheval sur les vieux principes, la retrouve après une longue période de séparation.
C’est qu’il entend bien faire respecter les traditions, en l’occurrence que sa femme renonce à sa vie professionnelle pour mener une douce vie d’épouse dévouée. La belle, elle, aimerait bien renouer avec la fièvre du théâtre, et avec le tourbillon de sa vie mondaine. Alors elle le fait, retrouvant les sommets malgré les efforts d’une presse magouilleuse, et notamment d’un critique très à l’aise avec son propre petit pouvoir. Et en passant, Duvivier dézingue la presse en général et la critique en particulier.
Comme beaucoup de films de cette époque (mais aussi d’époques plus tardives), le beau portrait d’une femme libre et en avance sur son temps est un peu ruiné par la conclusion du film, où la jeune artiste indépendante se range et devient l’épouse soumise qu’on attend qu’elle soit. Le féminisme a encore son chemin à trouver, dans cette France d’il y a presque un siècle.
Le film est par ailleurs une merveille, tant dans sa partie parisienne pleine de vie et de folie, que dans sa partie montagnarde, où Duvivier filme la neige et les grandes étendues désertes avec une inventivité et une intensité rares.
Et puis il y a les acteurs, tous formidables. Gaston Jacquet, acteur fétiche de Duvivier à l’époque du muet (et qu’il retrouvera jusque dans les années 1950), avec qui il a tourné une douzaine de films. Dans le rôle du mari un peu âgé attendant avec résignation que son épouse revienne à la raison (oui), il est admirable, tout en retenue. Et Lil Dagover, grande actrice allemande vue chez Lang (Les Araignées, Les Trois Lumières…) et Murnau (Tartuffe), parfaite dans le rôle de la jeune femme qui, au fond, cherche sa vraie place.
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