La Loi du Nord / La Piste du Nord – de Jacques Feyder – 1939-1942
Un richissime magnat de l’acier de New York tue l’amant de sa femme. Condamné, il s’évade et s’enfuit avec sa secrétaire dans le grand Nord canadien, où il s’alloue les services d’un trappeur chevronné. Ce dernier tombe amoureux de la secrétaire, tandis qu’un caporal de la police montée se lance à leur poursuite et les rejoint bientôt…
Un grand film d’aventure dans les vastes paysages du cercle polaire ? Ce n’est clairement pas ça qui attire Jacques Feyder dans ce projet, pour ce qui sera son avant-dernier film. Certes, il filme le froid et le vent des paysages recouverts de neige. Certes, il y a une vraie tension tout au long de ce périple vers une hypothétique liberté. Mais ce n’est clairement pas ça qui est au cœur du film.
D’ailleurs, Feyder ne fait pas grand-chose pour dissimuler le côté « studio » de son grand Nord. De la même manière qu’il élude soigneusement tous les moments les plus spectaculaires. Le héros s’évade ? Oui, mais au cours d’une audacieuse ellipse qui ne nous dévoile strictement rien des circonstances. L’un des personnages fait une chute qui pourrait être mortelle ? Oui, mais en arrière-plan, et de manière presque subreptice.
Le crime initial : filmé en quelques plans secs et rapides. Le procès : évacué en quelques minutes un peu lourdaude. On le sent d’emblée : tout le film converge vers quelque chose. Pas la course-poursuite dans la neige non plus, qu’une rencontre préalable entre le chasseur et ses proies prend bien soin de désamorcer. Plutôt vers le moment où, enfin, les quatre personnages principaux se retrouvent ensemble, coupés du monde, entourés par une nature hostile.
Et c’est là que le film devient vraiment passionnant, lorsqu’il met en scène trois hommes que tout oppose mais que réunit une même femme. Il faut dire que c’est Michèle Morgan, au sommet de sa grâce, femme de cœur et femme de poigne, qui ne se contente pas d’aimer benoîtement. Loin de là même : c’est elle le moteur de l’intrigue, c’est elle qui prend systématiquement les choses en main, l’air de rien.
Autour d’elle, trois spécimens de virilité revendiquée : le riche homme d’affaires dont elle admire la puissance et qu’interprète Pierre Richard-Willm ; l’officier de la police montée qui perd tous ses moyens à l’apparition d’une femme si belle, beau rôle encore pour Charles Vanel ; et le trappeur Louis avec sa belle gueule toute troublée de découvrir l’amour… L’unique rôle de Jacques Terrane, dont la carrière frémissante d’acteur a été interrompue par la guerre, et par sa mort prématurée en 1941, à l’âge de 25 ans.