La Mort en direct (Death Watch) – de Bertrand Tavernier – 1980
Des remarquables premières années de Bertrand Tavernier derrière la caméra, La Mort en direct n’est le plus connu, ni le plus reconnu de ses films. L’adaptation d’un roman de science-fiction sans le moindre effet spécial, dans un décor qui n’évoque un passé proche que par quelques détails, et avec quelques idées fortes qui pourraient flirter avec le grotesque. Mais sans être l’un de ses chefs d’œuvre, il y a quelque chose de très beau dans cette espèce de road-movie désenchanté.
Côté anticipation, mis à part un ordinateur qui écrit un roman à la place d’un écrivain, on est plutôt du côté de la critique sociale à la manière d’un George Orwell (dont Tavernier est un grand admirateur) ou, après quelques décennies d’avance, du très beau film de Cuaron Les Fils de l’Homme. A ceci près que l’événement n’est pas une femme enceinte dans un monde où il n’y a plus de naissance, mais une femme malade dans un monde où les morts naturelles ont disparu…
Autre idée forte : c’est aussi le roman initial qui invente en quelque sorte la notion de téléréalité, là aussi bien avant Truman Show. Parce que cette femme mourante, interprétée par une Romy Schneider magnifique dans ce rôle souvent tout en retenu et assez douloureux, devient malgré elle l’héroïne d’une émission télé baptisée « Death Watch » censée remettre la mort au cœur de la société, en suivant les derniers jours d’une condamnée, jusqu’à l’agonie finale.
Et si les spectateurs peuvent suivre cette agonie, c’est grâce au réalisateur de l’émission, à qui une caméra a été greffée dans l’œil, et qui gagne la confiance de la malade. Oh l’idée casse-gueule qui semble sortie de la série Z la plus minable. Et pourtant ça marche, grâce à une mise en scène directe et humaine, et grâce à un étonnant Harvey Keitel, cynique jusqu’à la nausée, et pourtant profondément humain.
L’esthétique a certes un peu morflé, et le film aurait gagné à être un peu plus serré. Mais Tavernier transforme l’essai avec ce premier film en anglais, tourné intégralement en Ecosse, notamment dans un Glasgow particulièrement cinégénique. Interprétation au top, de Harry Dean Stanton à Max Von Sydow. Réflexion assez forte sur la place du numérique et la force de la télévision. Road movie émouvant de deux paumés solitaires. Un beau film.