Le Pays de la violence (I walk the line) – de John Frankenheimer – 1970
Voilà un film mal aimé (et méconnu) qui mérite d’être redécouvert. Une curiosité, même, dans l’œuvre de Frankenheimer, qui nous plonge au cœur de l’Amérique la plus profonde, celle d’un Sud poussiéreux et morne, que les jeunes ont à peu près tous déserté pour ne laisser que des vieux qui ne font plus même semblant d’essayer de trouver des occupations pour tuer le temps.
Le générique de début porte clairement les ambitions de Frankenheimer : une succession de gros plans sur des gueules burinées, abîmées par le temps et l’ennui, d’hommes et de femmes assis le regard dans le vide, dans un décor rural anti-poétique au possible, où les paysages potentiels disparaissent sous des amas d’épaves de voitures ou d’appareil ménagers.
Au milieu de ces gueules, celle de Gregory Peck, shérif que l’on découvre au bord de la rupture. Lui aussi a le regard vide de celui qui se sait dans une impasse, et qui étouffe. Shérif de ploucland, où il ne se passe jamais rien, marié à une femme qu’il a peut-être aimé mais qu’il ne supporte plus vraiment, père d’une fillette qu’il n’écoute même plus, il n’attend rien. Et c’est justement là qu’apparaît cette porte de sortie qu’il n’attendait plus, et à laquelle il va se raccrocher avec la force du désespoir : une très jeune femme, fille d’une famille qui survit en distillant illégalement du whisky.
Frankenheimer voulait Gene Hackman pour ce rôle de shérif. Il a eu Gregory Peck, imposé par les producteurs, et qui révèle une fragilité, et même une douleur, qu’on lui connaissait peu. Il est assez magnifiquement pathétique dans ce rôle d’homme perdu, qui dérape et tente désespérément de se raccrocher à quelque chose. En l’occurrence à cette jeune femme « fatale » à laquelle Tuesday Weld apporte une étonnante innocence. Beau rôle aussi : celui du père, joué par Ralph Meeker, qui déjoue tous les préjugés attendus.
Le Pays de la violence (titre français discutable) est un film âpre, pas aimable, dont le titre original est une manière de mettre en valeur l’implication de Johnny Cash, crédité pour la bande originale. Peu de musique, en fait, dans ce film, si ce n’est quelques chansons (dont certaines créées pour l’occasion) pour lesquelles la voix de Cash est utilisée à la manière d’un chœur antique.