Non-coupable – de Henri Decoin – 1947
Henri Decoin est décidément un cinéaste doué, et éclectique. Non-coupable, à mi-chemin entre le film noir et la chronique psychologique, est tourné la même année que Les Amoureux sont seuls au monde, l’une des plus belles histoires d’amour du cinéma français. L’amour, dans Non-coupable, revêt un visage nettement moins avenant…
Celui de Michel Simon en l’occurrence, et il fallait un acteur de sa trempe pour donner toute la mesure de ce personnage si complexe, médecin d’une petite ville qui a sombré dans l’alcool et l’auto-apitoiement, rabâchant une haine de lui-même renforcée par la présence d’une épouse qu’il juge trop belle, trop douce.
Et puis un soir, alors qu’il a pris le volant ivre-mort, il renverse un motard qui meurt sur le cou. Ce pourrait être la fin de l’histoire, ce n’est que le début. Car face au drame, le gentil toubib imbibé révèle une face de lui-même dont il n’avait pas idée. En quelques instants, le regard acéré et l’esprit soudain plus vif que jamais, il maquille la scène du drame pour éviter d’être suspecté de quoi que ce soit.
Et ça fonctionne si bien que le voilà galvanisé par le sentiment d’avoir commis un crime parfait. De quoi lui donner des idées pour faire du ménage autour de lui. L’homme sans histoire et complètement paumé s’est transformé par hasard en génie du crime. Qu’importe d’ailleurs que ce soit le crime : s’il avait été un génie de la musique, l’effet aurait sans doute été le même. Mais cet homme insipide s’est révélé à lui-même, et il a bien l’intention de ne pas laisser passer cette opportunité unique d’exister vraiment.
Le scénario, signé par le dramaturge Marc-Gilbert Sauvajon, est formidable, parfaitement machiavélique. La mise en scène de Decoin est superbe, donnant vie aux zones d’ombres de Michel Simon qui ne cessent de prendre de l’ampleur. De la même manière que la sensation d’oppression prend de l’ampleur au fur et à mesure que le personnage principal prend de l’assurance, narguant la police incarnée par Jean Debucourt, et perdant peu à peu toute barrière morale.
Non-coupable est un film passionnant, chef d’œuvre méconnu d’une richesse étonnante. Decoin réussit dans le même mouvement à rendre son personnage attachant et glaçant, émouvant et machiavélique, superbe et pathétique. Il conclut son film avec une ultime séquence assez géniale, chef d’intelligence narrative : une lettre, une cheminée, un chat, et un rebondissement final qui enfonce le clou avec force.