Deux femmes (Pilgrimage) – de John Ford – 1933
John Ford a souvent filmé des mères courage, ou des mères martyrs. Pilgrimage semble ainsi être une espèce de variation sur le thème du très beau Four Sons. Dans les deux films, c’est la Grande Guerre qui arrache un fils à sa mère. Et dans les deux films, il faut toute la sensibilité de Ford pour ne pas sombrer dans le pathos le plus assommant, tant l’histoire est mélodramatique.
On a donc une mère vieillissante, qui refuse de voir son fils quitter la ferme qu’ils font tourner à eux deux. Et surtout pas pour le voir épouser la fille de son alcoolique de voisin. Alors quand le fiston décide de s’émanciper de la domination maternelle, elle décide de l’enrôler dans l’armée pour l’envoyer dans les tranchées. « Plutôt le voir mort que le voir épouser une traînée », lance-t-elle. Elle va être servie.
L’histoire est cousue de gros fil doré. On sent d’emblée le drame inéluctable. Et très vite, on entrevoit derrière l’égoïsme terrible de la mère (Henrieta Crosman, superbe) une humanité pleine de douleur. On voit bien, aussi, que ce pèlerinage en France, dix ans plus tard, sera le voyage de la rédemption. Sur le papier, donc, un mélo classique et sans surprise.
Pourtant, le film est beau, très beau même. Parce que Ford transforme ce mélo en une sorte d’allégorie, et qu’il fait de ses personnages des symboles : des affres de la guerre, du temps qui passe, de la difficulté à laisser partir ceux qu’on aime… Ford filme chaque scène comme s’il peignait un tableau universel, peaufinant ses cadrages et ses lumières, faisant de certains plans des images quasi-religieuses.
Pour autant, Pilgrimage n’a rien de désincarné. Le portrait qu’il fait de cette mère qui finit par percer sa carapace est juste, et très émouvant. Et le chemin qu’elle emprunte avec d’autres mères martyrs à travers l’Amérique, puis Paris, puis les lieux où sont tombés les fils, dit plus sur les horreurs de la guerre que n’importe quelle scène de bataille. La seule que filme effectivement Ford souligne d’ailleurs l’absurdité de ces morts, sans jamais verser ni dans le spectaculaire, ni dans l’héroïsme béat.
Joli film, donc, petite perle méconnue d’une période méconnue du grand Ford : cette première partie des années 1930 qui ne manque pas de belles surprises.
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