Remorques – de Jean Grémillon – 1939-1941
Remorques marque la fin d’un cycle pour Gabin. Et quel cycle ! En cinq ans, l’acteur a enchaîné dix des plus grands chefs d’œuvre du cinéma français, série sans équivalent dans l’histoire. C’est la guerre qui y met un point final : le film est commencé avant la déclaration de guerre, et terminé bien après la débâcle. Le tournage chaotique ne se ressent en rien. Après Gueule d’amour, Grémillon offre à Gabin un nouveau monument, plus grand encore, plus impressionnant, plus tragique, plus beau.
La tragédie, ici, vient du plus profond des êtres. Et comme dans leur précédente collaboration, Gabin est un homme à l’apogée de sa vie, qui va se prendre un retour de bâton cruel en se confrontant à la réalité des autres. Le capitaine d’un remorqueur en haute mer, en l’occurrence, tel qu’on imagine Gabin : grand, beau, fort, imperturbable. Un socle, un bloc, celui sur qui se reposent son équipage aussi bien que sa femme. Jusqu’à ce que survienne l’impensable. Oh ! Rien de spectaculaire, non : une autre femme.
Sauf que cette femme-là apparaît dans une scène véritablement spectaculaire : un sauvetage en pleine mer, et en pleine tempête, dont Grémillon fait ressentir tout le danger et toute la vérité en jouant habilement avec des gros plans et des maquettes. Grand moment de cinéma d’aventures, où les embruns et la sueur se ressentent constamment.
Mais l’essentiel, bien sûr, est ailleurs : dans le regard de Gabin, paumé quand il se découvre aussi imparfait que ceux qu’il remettait à leur place quelques jours plus tôt seulement, parce que dans un tel équipage, on ne peut pas s’autoriser des faiblesses. Mais lui-même se retrouve tiraillé entre sa femme, Madeleine Renaud, et cette « sirène » sortie des flots, Michèle Morgan… Soudain, Gabin apparaît non plus comme un capitaine sûr de lui en toute circonstance, mais comme un homme, fatigué de sa vie de couple bien installé, et attiré par l’aventure d’une belle jeune femme.
Comme un symbole, ces deux femmes qui déchirent l’âme de Gabin sont interprétées par les deux actrices qui ont le plus marqué sa filmographie : Madeleine Renaud, co-vedette de trois de ses meilleurs films d’avant l’état de grâce (Le Tunnel, La Belle Marinière et Maria Chapdelaine), et Michèle Morgan, sa partenaire mythique du Quai des brumes (mais aussi de deux films plus méconnus, Le Récif de Corail et La Minute de Vérité). Leur présence à toutes les deux renforce encore la beauté intime et rude de ce joyau.
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