Golgotha – de Julien Duvivier – 1935
Gabin en toge dans le rôle de Ponce Pilate… Voilà une curiosité qui, sur le papier, fait craindre le pire. La première apparition de l’acteur en toge ne rassure d’ailleurs pas tout à fait : c’est Gabin avec son phrasé de Français populo, un peu plus en retenue simplement. Et puis finalement, le charme opère, et c’est tout le parti-pris de Julien Duvivier qui se résume dans cette incarnation sobre et dénuée d’effet.
Duvivier n’en est pas à son premier film « religieux ». De L’Agonie de Jérusalem à La Vie miraculeuse de Thérèse Martin, sa période muette compte quelques œuvres mystiques importantes. Il reviendra à la figure christique avec son Don Camillo, mais c’est une autre histoire, qui n’est toutefois pas sans rapport : sa comédie à venir rappelle que la crise de foi du cinéaste a vite tourné court. Son Golgotha, mise en images de la Passion du Christ, est un peu à la croisée des chemins.
Duvivier s’y montre très respectueux de l’histoire telle que racontée dans le Nouveau Testament, mais se défait autant que possible de l’imagerie religieuse traditionnelle, pour filmer les événements avec le sens du vrai et du vivant qui caractérise son cinéma. C’est là que son film est le plus passionnant : dans la capacité qu’a le cinéaste de rendre palpable l’atmosphère de cette Jérusalem là, grouillante de vie et remplie d’intrigants.
C’est à la fois spectaculaire dans la forme, et édifiant sur le fond. Dans la forme, Duvivier filme Jérusalem plus encore qu’il ne filme Jésus lui-même (Robert Le Vigan, habité). Il alterne habilement les plans larges de foules, impressionnants, et les gros plans sur des visages pleins de passions. Et devant sa caméra, Jérusalem a le même accent de vérité que la Casbah de Pépé le Moko ou les forêts glacées de Maria Chapdelaine.
Sur le fond, Duvivier fait de Jésus un objet de désir ou de dégoût, c’est selon. Mais son sort est clairement entre les mains de politicards, de personnages lâches ou mesquins. On sent bien que c’est moins Jésus lui-même qui intéresse le cinéaste que tous ceux qui ont son sort entre leurs mains, que ce soit le puissant et grotesque Hérode (Harry Baur, grandiose le temps d’une unique séquence) ou un simple anonyme dont les convictions oscillent au rythme de la foule.
Et Pilate, donc, dont Gabin fait un homme simple et même médiocre, un type qui a plutôt bon cœur, et qui ne veut fâcher ni la foule dont la colère pourrait lui coûter sa place, ni sa femme (Edwige Feuillère), qui ne veut pas qu’on touche au Messie, et dont la colère pourrait lui coûter la paix de l’esprit. Il s’en lave les mains, donc. Ce geste historique est filmé comme toutes les étapes de la Passion : avec une certaine distance, qui révèle curieusement l’humanité profonde des personnages.
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Très bel article et qui résume parfaitement ce que j’avais ressenti à la vision ancienne de ce film, qui m’a beaucoup plu. Duvivier filme honnêtement son sujet sans « bondieuserie saint-sulpicienne ». Le « Mauvais » Robert Le Vigan est réellement habité, comme toujours. Surprenant mais très convainquant. Remarquable Harry Baur qui n’a qu’(une seule séquence ! Edwige Feuillère, excellent « Madame Ponce », comme l’appelait Gabin sut le plateau ! Pour lui, sa diction un peu « peuple » surprend au début mais il ne s’n tire pas mal du tout ! Ponce-Pilate était un militaire et non un « homme de salon » ! Les Romains qui ont conquis le Monde et conservé mille ans étaient violents par profession. Lucas Gridoux, faux comme un jeton, joue Judas si mes souvenirs sont exacte et l’image qu’il en donne est assez négative. Savoureux pour un vrai Juif ! Marcel Dalio qui aurait pu le jouer aussi est ici un « Méchant Juif-Subalterne » ! C’est réjouissant de les voir. L’intérêt du film consiste à montrer les foules en grands mouvements et aussi de faire des plans serrés sur des visages convulsés. Vrai que le réalisateur s’intéresse plus aux réactions suscitées par Jésus que par le Personnage lui-même, contrairement à « High Noon » par exemple où le shérif Kane est sans cesse suivi par la caméra qui filme son désarroi. Mais Zinnemann savait filmer aussi les indifférents et les lâches. Il y a une similitude ivolontaire entre les deux films. Celui-ci me semble bien sous-estimé …