Anna Karénine (Anna Karenina) – de Julien Duvivier – 1948
Ils ne sont pas tellement nombreux à avoir été tendres avec cette adaptation du roman de Tolstoï, la troisième après celle avec Greta Garbo… et celle avec Greta Garbo. Julien Duvivier lui-même semble n’avoir pas gardé un très grand souvenir de cette nouvelle expérience internationale : une production britannique cette fois, après quelques films hollywoodiens pendant la guerre, et un bref retour en France avec l’un de ses chefs d’œuvre, Panique.
C’est une production britannique (d’Alexander Korda), mais ce Anna Karénine ressemble à s’y méprendre à l’un de ces grands mélodrames qui ont fait la gloire d’Hollywood. L’ambition de cette adaptation, l’ampleur de la mise en scène et de la reconstitution, la musique grandiose même… Tout contribue à faire du film l’une de ces grosses machines parfaitement huilées qui sont finalement plutôt l’œuvre d’un producteur que celle d’un réalisateur.
C’est en partie vrai, mais seulement en partie. Certes, il y a quelques passages dont on sent qu’ils pourraient être réalisés par à peu près n’importe quel habile cinéaste. Mais il y a aussi tous les autres, ces moments où l’intime s’impose dans un gigantisme de façade. C’est sans doute la patte de Duvivier : cet air russe qui résonne au loin, ce choix de ne filmer un prestigieux mariage que par une succession de gros plans sur des visages, cette manière qu’il a de faire surgir la passion amoureuse d’un pan d’ombre, ou d’un grand silence…
L’adaptation, signée Duvivier lui-même et Jean Anouilh, entre autres, est relativement fidèle à l’intrigue du roman de Tolstoï : Anna, femme d’un haut fonctionnaire de la Russie tsariste, tombe amoureuse d’un jeune officier qui l’aime en retour. Mais sa passion à elle est totale, irréfléchie, sans retour. Tout au bout, rien d’autre que la tragédie. Et cette tragédie donne lieu à une longue séquence finale d’une beauté sidérante, et déchirante, portée à la fois par l’incarnation troublante de Vivien Leigh, décidément sublime, et par la mise en scène très inspirée de Duvivier.
La manière dont il filme les trains et les gares tout au long du film dans une série de scènes clés est passionnante. Il utilise tous les outils du cinéma : plans larges ou très serrés, ombres profondes, neige de studio, et même des maquettes filmées en gros plan… C’est une beauté picturale saisissante, et c’est d’une efficacité absolue, parce que l’esthétique même de ces scènes adopte totalement le point de vue de l’héroïne : ses espoirs, ses passions, ses doutes et son désespoir.
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