L’Agonie de Jérusalem – de Julien Duvivier – 1927
Un anarchiste en rupture avec la société va connaître la rédemption en suivant les pas de Jésus dans Jérusalem. Sur le papier, L’Agonie de Jérusalem n’est pas franchement exaltant : encore un film mystique qui promet d’appuyer lourdement sur les symboles et les beaux sentiments. C’est le cas : Duvivier, aux manettes, est lui-même en pleine crise mystique quand il écrit et tourne le film, prenant le parti comme il en a l’habitude de tourner sur les lieux mêmes de l’action, où il espère d’ailleurs connaître une sorte de révélation qui ne viendra pas, ce qui contribuera à lui faire passer sa crise de foi.
A vrai dire, seule la dernière partie appuie lourdement sur le côté mystique de l’histoire, en plaçant littéralement le personnage principal, contemporain, dans les pas de Jésus, à grand renfort de reconstitutions historiques. On est quand même très loin d’une vision à la Cecil B. De Mille, et ce qui frappe surtout, c’est l’extraordinaire maîtrise technique et artistique de Duvivier, qui joue avec le langage cinématographique avec une invention et une intelligence déjà remarquables.
Qu’il filme les paysages du Monts des Oliviers ou les ruelles de Jérusalem, ou l’effervescence de milieux interlopes parisiens, Duvivier fait preuve d’un sens de l’espace et de la mise en scène exceptionnel. Bien sûr, le thème lui-même est parfois déroutant, voire irritant, et les effets de mise en parallèle entre la rédemption du héros et le martyr de Jésus a un côté à la fois convenu et vieillot. Mais il y a tout le reste.
Et dès les premières images, le talent de Duvivier est éclatant : cette manière qu’il a de présenter le héros, sortant de prison dans un sublime plan tout en plongée et en ombres portées. Puis la vie qu’il donne à ce petit milieu des anarchistes qu’il filme avec un beau sens du détail qui « sonne vrai ». Un travelling arrière pour introduire le personnage féminin, un plan plein d’humour pour évoquer la ressemblance entre l’oncle célibataire et attachant, et un bulldog… Il y a dans ce film une invention constante et une maîtrise qui en font une œuvre passionnante, même si mineure dans la filmographie de Duvivier.
Il y a, surtout, cette scène où le fils se lance dans un pamphlet contre l’autorité parentale, dans une salle bondé où il ignore que son père se trouve. La confrontation entre les deux, dans cette salle soudain chauffée à blanc, est un sommet de tension et d’émotion. On pourrait continuer comme ça longtemps l’énumération des grands moments, des grandes idées de ce film, aussi déroutant par moments que précieux.
D’autant plus précieux que le film a longtemps été perdu. Il est aujourd’hui disponible dans un superbe coffret regroupant neuf films muets de Duvivier, tous restaurés. Serge Bromberg, le précieux patron de Lobster, y raconte comment son équipe a reconstitué L’Agonie de Jérusalem, dont la copie retrouvée dans les années 1970 était une version très transformée pour le public tchèque, l’exploitant ayant inséré des extraits spectaculaires d’autres films pour épicer le spectacle. Le film de Duvivier revient de très loin, et c’est passionnant.
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