L’Oncle Harry (The Strange Affair of Uncle Harry) – de Robert Siodmak – 1945
Entre Les Mains qui tuent et Les Tueurs, cet Oncle Harry n’est pas le film noir le plus connu de Siodmak, loin s’en faut. Pas le plus grand non plus, soyons franc : si réussi soit-il, si tendu soit-il, il n’a pas la puissance et la force visuelle des grands chefs d’œuvre américains du réalisateur. Mais quand même, si on occulte une fin probablement imposée, et qui semble même rajoutée in extremis pour calmer les ardeurs du code Hays sans soucis de cohérence, ce noir atypique est loin d’être anodin.
Les censeurs moralistes auraient d’ailleurs eu bien des raisons de pousser des cris devant cette histoire d’un vieux garçon issu d’une vieille famille, vivant dans une vieille maison, dans une vieille ville, entouré de ses deux sœurs et d’une bonne, dans une atmosphère étouffante. Ils auraient pu s’étrangler devant les rapports quasi-incestueux qu’entretient la plus jeune des sœurs avec ce grand frère qu’elle refuse de voir quitter le nid familial. Ou devant l’irruption de cette jeune femme trop libre qui revendique le droit de recevoir un homme dans sa chambre d’hôtel, à n’importe quelle heure…
Cette jeune femme, c’est Ella Raines, révélation des Mains qui tuent, et véritable rayon de soleil dans une vie bien terne : celle de « l’oncle Harry », héritier désargenté d’une vieille famille autrefois puissante, à qui il ne reste qu’une grande maison d’un autre temps, un nom, et les vestiges de traditions familiales. George Sanders est formidable dans ce rôle taillé pour lui, avec cette suavité, cette douce ironie et ce regard un peu triste qui le caractérisent. Un homme entre deux âges enfermé dans une relation castratrice avec la plus jeune de ses sœurs (Geraldine Fitzgerald), assez glaçante.
Siodmak a un talent fou pour filmer le sentiment d’enfermement. Sans jamais en faire trop, sans verser dans le sensationnalisme, juste par petites touches, il crée une atmosphère étouffante, pathétique et même menaçante, dont Sanders est une sorte de victime consentante, et qu’Ella Raines vient dynamiter. La manière dont cette dernière tient tête à la petite sœur Ellie, avec une insolente liberté, est réjouissante. La manière dont le personnage de Geraldine Fitzgerald encaisse est tout aussi remarquable, d’ailleurs.
Le film met en évidence la mesquinerie d’une petite ville où le ragot est une religion, et l’absurdité d’une vieille famille enfermée dans des principes d’un autre temps. Dommage, quand même, qu’il se termine sur cette fin dont je ne dirais rien : une mention dans le générique demande expressément au spectateur de ne pas la dévoiler. Alors…
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