La Poison – de Sacha Guitry – 1951
« Regardez-moi ça, un vrai boudin »
Guitry a rarement été aussi cruel et cynique que dans La Poison, portrait corrosif au possible de l’enfer du couple. Il a rarement été tendre avec l’idée même du mariage, dans ses films. Mais là, avec ce couple de provinciaux haineux l’un envers l’autre, le plaisir habituel de la langue cède souvent la place à des silences dérangeants. En tout cas dans la première partie, la meilleure.
Dans cette première moitié, Guitry prend le temps de filmer ce couple, joué par Germaine Reuver et Michel Simon. Trente ans de mariage, une union devenue depuis longtemps une cohabitation pleine de dégoût et de colère. Les rares mots qu’ils échangent sont des insultes, le moindre mouvement irrite l’autre… Ils n’essaient même plus de cacher leurs ressentiments, chacun attendant la mort de l’autre.
Il y a des moments d’une très grande force dans cet affrontement silencieux : les regards plongés dans la soupe tandis que la radio diffuse une (belle) chanson de Lucienne Delyle, la solitude plombante de Michel Simon à la table du café devant ses copains inquiets (parmi lesquels un Louis De Funès encore jeune et chevelu), ou la touchante confession de Simon au joli personnage de fleuriste jouée par l’indispensable Jeanne Fusier-Gir…
Cette première partie est d’une cruauté assez radicale. Et plus il va loin dans la violence psychologique, plus Guitry s’efface derrière ses personnages. Lui que l’on devine souvent derrière chacune des répliques qu’il prête à ses acteurs semble se contenir derrière la caméra, qu’il place au plus près de ce couple toxique, merveilleusement interprété. Il y a bien quelques sourires, quelques réparties comme Guitry sait les écrire. Mais c’est une immense amertume qui domine, jusqu’au crime.
La suite est également très réussie, mais moins surprenante. Dans ce procès, où le personnage de Michel Simon se transforme en une sorte de cabot théâtral, le réalisme froid de la vie conjugale laisse la place à un jeu de massacre un rien plus convenu, et l’amertume terrible de la première partie à un cynisme assez jubilatoire, mais plus attendu. Personne n’est épargné : ni l’avocat qui vit sa profession comme le ferait un acteur, ni les bons voisins ravis de voir que le crime profite à la notoriété du village…
Sacha Guitry réussit là l’un de ses meilleurs films, dense et cruel. Court, aussi : à peine plus d’une heure vingt, y compris un générique de début comme il les aime, long de plus de cinq minutes. Le « maître » lui-même y apparaît comme il en a l’habitude. Et après un long éloge de Michel Simon face à l’acteur, il passe d’un comédien à l’autre, avec pour chacun un petit mot, puis à son équipe technique, et à tous ceux qui ont participé d’une manière ou d’une autre au film… Véritable court métrage qui mérite à lui seul de voir le film, ne serait-ce que pour le plaisir du verbe et du phrasé de Guitry.
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