Compartiment n°6 (Hytti Nro 6) – de Juho Kuosmanen – 2021
Il ne faut pas se fier aux premières impressions, elles sont souvent bien trompeuses. Le type avec lequel cette jeune étudiante finlandaise en voyage en Russie partage le compartiment de son train a tout de la brute épaisse totalement décérébrée, dont la seule présence à l’écran suffit bientôt pour instaurer un sentiment de menace et d’étouffement. Le film, lui, affiche une austérité revendiquée par le refus du réalisateur d’enjoliver ses acteurs comme ses décors…
Voilà en gros où on en est après une dizaine de minutes de projection. Et puis quelque chose se passe. Oh ! Rien de spectaculaire. Rien, même, de vraiment tangible. Un regard, un rayon de soleil sur un visage, la rencontre avec une vieille dame pas même digne… Des petites choses comme ça qui, au fil d’un voyage dénué de tout spectaculaire, font peu à peu basculer les impressions, décalant le centre d’équilibre comme se décale l’univers de la jeune femme, Laura.
Laura, jeune Finlandaise qui vient de passer quelques mois à Moscou où elle a vécu une vie de fantasme, côtoyant la bonne société intellectuelle et vivant dans un appartement bourgeois partagé avec une enseignante devenue sa maîtresse. Son amour, croit-elle alors qu’elle entame un long voyage vers Mourmansk, au Nord, où elle veut voir les Petroglyphes, dessins gravés sur la pierre il y a dix mille ans, « parce qu’il faut connaître son passé pour mieux comprendre son présent ».
Dans ce train, elle croise donc la route de Ljoha, un sale type vulgaire et abrupt, qui finira pourtant par dévoiler une fragilité toute enfantine, en même temps qu’une sensibilité à fleur de peau. Qu’importe le but, bien sûr, qui sera forcément absurdement décevant. C’est le voyage qui compte, la manière dont ces deux solitudes si obstinément différentes se croisent et se trouvent. C’est filmé avec une grande simplicité, et c’est d’une vérité magnifique.
Seidi Haarla et Youri Borissov sont formidables, dans ce duo d’êtres mal assortis. Juho Kuosmanen les filme dans toute la complexité de leur relation, avec une justesse de chaque instant, passant du dégoût à la curiosité, puis à la tendresse, puis… Au cœur du film, une scène charnière, toute en regards évités, où la jeune femme réalise qu’elle n’a qu’une envie, retrouver la complicité qui vient de disparaître.
Quant à l’austérité initiale, elle n’était qu’un leurre. Il y a au contraire dans cette rencontre improbable une légèreté et une chaleur qui contrastent avec la rudesse des paysages et le froid palpable de cet hiver du Grand Nord. Compartiment n°6 s’inscrit dans cette longue tradition des solitudes inconciliables qui se trouvent pourtant qui, des Misfits à Lost in Translation, a donné tant de beaux films.