La femme de nulle part – de Louis Delluc – 1922
Une grande maison isolée dans la campagne ; une jeune femme dont on sent qu’elle rêve d’une vie plus palpitante que ce quotidien de mère de famille, mariée à un homme qui n’a pas le profil du prince charmant ; une autre femme qui arrive, le pas lourd, le poids du malheur sur les épaules…
Cette inconnue, c’est Eve Francis, l’épouse et muse de Louis Delluc, qui en fait des tonnes, toute en gestuelle excessive, véritable tragédienne à l’ancienne. Face à elle, Gine Avril (actrice très éphémère qui n’a tourné que cinq films entre 1921 et 927) est plus en retenue, avec un jeu plus sobre et plus moderne. Pas sûr que ce soit voulu, mais la confrontation de ces deux jeux d’actrices, de ces deux générations qui se répondent et se répètent, est l’une des belles choses qui reste du film.
Il reste aussi quelques scènes de foules, sans doute volées dans des décors réels : les regards face caméra de quelques badauds en atteste. C’est aussi là que le film trouve tout son intérêt : dans sa manière de filmer une gare italienne, le port de Gênes, ou un cabaret grouillant de vie.
L’histoire elle-même paraît bien anodine aujourd’hui, avec son drame étiré à l’envi. Partira ? Partira pas ? Zat is ze kwestion. La jeune femme suivra-t-elle son amant, comme la visiteuse l’a fait bien des années avant elle ? Abandonnera-t-elle mari et enfant pour vivre la passion ? Ou se laissera-t-elle guider par la raison ? Suivra-t-elle ses impulsions de jeune femme, ou écoutera-t-elle la voix de cette inconnue qui apparaît comme une conscience incarnée, qui elle-même hésite sur le conseil à donner ?
Suspense insoutenable, dont je ne dévoilerai pas le dénouement ici. Soulignons quand même que la décision finale est prise lors d’une scène d’une cruauté quand même assez incroyable, promesse d’une belle vie de traumatisme pour la gamine qui traverse le film tel un fil rouge sensible, ou le rappel des enjeux du drame.
Si le film accuse son presque siècle, il reste un vrai plaisir de découvrir (tardivement, je le concède) le cinéma de Louis Delluc, dont on ne connaît plus guère aujourd’hui que le prix auquel il a donné son nom. Malgré un rythme inégal, et des cartons un rien trop explicatifs, il y a dans ce film quelques jolis moments, une belle manière d’utiliser les décors naturels surtout, qui donne envie d’en découvrir plus.