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Archive pour décembre, 2021

Le Grand Passage (Northwest Passage – Book 1 : Rogers’ Rangers) – de King Vidor – 1940

Posté : 11 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1940-1949, VIDOR King, WESTERNS | Pas de commentaires »

Le Grand passage

Avec cette première production en Technicolor, la MGM flirte ouvertement du côté de quelques gros succès récents : Les Aventures de Robin des Bois côté Warner, et surtout Sur la piste des Mohawks côté Fox, dont Le Grand passage reprend le contexte (ou pas loin) : l’Amérique du milieu du XVIIIe siècle, dominée par la guerre entre les Anglais et les Français, et contre les Indiens.

Soyons clair : le film n’a ni la parfaite légèreté du chef d’œuvre de Curtis, ni la folle intensité de celui de Ford. Cette grosse production hollywoodienne est passionnante et pleine de moments franchement mémorables, mais elle ressemble souvent avant tout à ça : une grosse production hollywoodienne, dans laquelle on met du temps à entrer, et qui n’évite pas les flottements et les facilités scénaristiques.

De King Vidor, l’auteur de tant de chefs d’œuvre avant ou après 1940 (y compris de grosses productions hollywoodiennes d’ailleurs), on attendait notamment un dénouement plus convaincant que cette déroute qui se transforme en triomphe par un tour de passe-passe bigot, du genre il ne faut jamais perdre la foi, après tout, Moïse est bien resté quarante jours sans rien manger. Si au moins cela symbolisait la grandeur de la solidarité, comme dans le très beau Notre pain quotidien, mais non.

Une autre limite, c’est le Technicolor lui-même, parfois franchement pisseux, souvent mal maîtrisé, qui gâche même les premières scènes du film. Paradoxalement, la couleur apporte aussi une dimension quasi inédite (il y a eu les Mohawks de Ford quand même, avant ça) à l’épopée de ces Rangers qui s’enfoncent dans des paysages somptueux, transformés régulièrement en théâtres sanglants. Et ce contraste si brutal entre le vert du décor et le rouge du sang est sans doute la grande force du film.

Le décor est toujours primordial chez Vidor. Mais le cinéaste ne filme vraiment que les individus qui y évoluent. En cela, Le Grand Passage est un Vidor typique, avant tout basé sur ses personnages, tous très forts et filmés avec beaucoup d’empathie : Spencer Tracy en leader charismatique et clairvoyant, Robert Young en étudiant confronté à la violence des guerres indiennes, Walter Brennan en fidèle compagnon… mais aussi tous les seconds rôles, Vidor offrant chacun un moment de gloire.

Beaucoup d’empathie, notamment, pour les vaincus : les hommes terrassés par la faim, la peur, ou la folie. Et les Indiens aussi, mine de rien. Aucun d’entre eux n’est vraiment filmé en tant qu’individu, certes, ce qui a d’ailleurs valu au film d’être taxé de racisme. Mais leur sauvagerie n’apparaît que dans les témoignages parlés, jamais directement à l’image. Au contraire, les seules scènes de violence que filme Vidor sont de véritables massacres perpétrés… par les héros, et qui laissent un goût franchement très amer.

On ne retrouve pas dans Le Grand Passage le souffle dramatique des grands films muets de Vidor, ou de ses grands westerns à venir (Duel au soleil et L’Homme qui n’a pas d’étoile, deux films immenses). Mais il y a un rythme, une manière de filmer le mouvement, le groupe, la peur. Une manière surtout de mettre en scène la déroute de ces hommes et d’invoquer le souvenir de la civilisation. Malgré ses imperfections, voire ses francs défauts, le film est passionnant.

Max et les ferrailleurs – de Claude Sautet – 1971

Posté : 10 décembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1970-1979, SAUTET Claude | Pas de commentaires »

Max et les ferrailleurs

Sautet a commencé dans le polar. Il s’est fait un nom avec des portrait un rien désabusés de quadragénaires bourgeois. Max et les ferrailleurs est un peu la synthèse de tout un pan de son cinéma.

Max, c’est Michel Piccoli, un flic qui se la joue un tout petit peu fin limier, mais qui accumule les ratés, incapable de conduire les criminels qu’il traque en prison. Des ratages à répétition qu’il ressent comme autant d’humiliation, et qu’il met sur le dos d’un système trop protectionniste. Alors Max a une idée de génie. Et son supérieur le constate dans la première scène du film, qui introduit un long flash-back dont on sait qu’il se terminera mal : il n’aurait pas dû le laisse faire.

Idée de génie qui a tout du plan tordu : il n’arrive pas à appréhender des criminels en plein flagrant délit ? Eh bien il va le provoquer, ce flagrant délit, choisissant une bande de loubards qu’il va pousser à commettre un braquage, en utilisant la jeune femme autour de laquelle gravite le groupe. Il va la séduire pour mieux la manipuler. Mais Sautet est influencé (thématiquement, pas stylistiquement) par le film noir. Alors femme fatale oblige, Max va lui aussi être séduit, malgré lui. Normal : c’est Romy Schneider, parfaite en jeune femme un peu paumée, anti-glamour au possible.

C’est l’une des forces du film : la qualité générale de l’interprétation. Bernard Fresson, parfaitement attachant en criminel désigné. François Périer en commissaire trop intègre. Et Piccoli donc, et Piccoli surtout, formidable dans ce rôle tourmenté, taiseux et intérieur. Il est extraordinaire en homme que l’on sent à deux doigts de la rupture. Non, un doigt, seulement.

Le polar n’est qu’un prétexte, un contexte. Max et les ferrailleurs, c’est le dernier voyage de ce superflic rattrapé par la réalité, puis dépassé, puis qui tente désespérément de s’y raccrocher. Son obsession est bouleversante, la méticulosité et l’acharnement derrière lesquels il se réfugie sont glaçants. Michel Piccoli est immense, Claude Sautet est un grand peintre des sentiments refoulés.

LIVRE : 5e Avenue, 5 heures du matin : Audrey Hepburn, Diamants sur canapé et la genèse d’un film culte (Fifth Avenue, 5 A.M. : Audrey Hepburn, Breakfast at Tiffany’s, and the Dawn of the Modern Woman) – de Sam Wasson – 2010

Posté : 9 décembre, 2021 @ 8:00 dans LIVRES | Pas de commentaires »

LIVRE 5e Avenue 5 heures du matin

L’objet, pour commencer, est magnifique : couverture épaisse et élégante, papier glacé qui évoque les grands magazines américains, et ce générique qui nous dévoile dans les premières pages les lieux de l’intrigue et les personnages principaux. On y croise Truman Capote, Audrey Hepburn, Billy Wilder, Hubert de Givenchy et même Colette… De quoi donner envie de plonger dans ces pages.

Le livre de Sam Wasson ne ressemble pas aux habituels récits de tournage. C’est normal : c’est bien plus que ça. C’est un peu le destin croisé d’Audrey Hepburn et de Holly Golightly, le personnage qu’elle incarne dans Diamants sur canapé, adaptation mythique et en demi-teinte du superbe Breakfast at Tiffany’s de Capote.

Simple et épuré, et pourtant formidablement ambitieux, le livre tire mine de rien les innombrables ficelles qui toutes convergent vers la sortie du film en 1961. Cela implique donc l’écriture du roman, les rapports (difficiles) de Capote avec Halloween, les trahisons des producteurs et des scénaristes, le choix de Blake Edwards et son penchant pour le burlesque (peut-on vraiment lui pardonner le personnage de Michey Rooney?), et bien sûr Audrey Hepburn.

La personnalité de Miss Golightly est centrale. Celle d’Audrey Hepburn l’est tout autant : ce rôle qui lui est indissociable plus qu’aucun autre, et pour lequel on n’imaginerait pas une autre actrice aujourd’hui, était pourtant loin d’être une évidence pour elle, incarnation même de la jeune fille douce qui se retrouve dans la peau d’une jeune femme qui vit de ses charmes (pour rester aussi prude que l’est le film). Un rôle en tout cas qui marquera sa carrière et sa vie.

Sam Wasson a un style, une manière d’aller à l’essentiel dans des chapitres courts et percutants. Son livre est d’autant plus attachant que l’auteur n’amoindrit pas les défauts flagrants du film, et des personnages que lui met en scène. Mel Ferrer, encore marié à Audrey Heburn, en fait les frais. Michey Rooney aussi. Wasson égratigne aussi gentiment Blake Edwards, et Truman Capote lui-même. Mais c’est surtout George Peppard qui en prend pour son grade. Transparent à l’écran, et imbu de sa personne sur le plateau, pour faire simple.

Un temps pour mourir (Tiempo de morir) – d’Arturo Ripstein – 1966

Posté : 8 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1960-1969, RIPSTEIN Arturo, WESTERNS | Pas de commentaires »

Tiempo de morir

Arturo Ripstein a une bonne vingtaine d’années lorsqu’il réalise ce premier film, western mexicain écrit par Gabriel Garcia Marquez et Carlos Fuentes (sacrées signatures, quand même). L’âge du jeune réalisateur n’est pas un détail, tant il semble à contre-temps avec le sujet et le ton du film.

Une histoire assez classique de western, à vrai dire : un homme revient dans son village après des années de prison, mais doit affronter la haine des enfants de l’homme qu’il a tué il y a si longtemps. Ce qui est moins classique en revanche, c’est le rythme, lent, comme écrasé par cette chaleur qui ralentit tout.

« S’il n’y avait pas les morts qu’on a enterré ici, on aurait quitté cet endroit depuis longtemps », commente le barbier. Le décor, c’est vrai, est plus dominé par la poussière et les traces des morts passés, que par les signes de vie. Murs crasseux, ruelles désertes, végétation rare… Cette petite ville semble n’être qu’un passage vers la mort, comme un symbole de ce qui reste de Juan après 18 ans de prison.

Juan, le personnage central du film, à qui Jorge Martinez de Hoyos (qu’on a vu dans Les Sept Mercenaires ou Les Professionnels) apporte sa démarche lourde et fatiguée, et son regard presque enfantin. C’est avec lui qu’on entre dans le film, la caméra de Ripstein le suivant longuement, traversant à pied des paysages désertiques entre la prison qu’il quitte et le village où sa vie s’est arrêtée, et où il retourne.

Avant d’y arriver, une croix se dresse sur son passage, et c’est là que la caméra le filme enfin de face, comme un symbole, comme l’annonce de ce qu’on sent bien déjà écrit. Le temps qui passe, l’inéluctable marche du temps, le poids de ses actions… Des thèmes forts et rares qui, au-delà du rythme étonnant, font le poids du film, beau portrait d’un homme qui est parti dans la force de sa jeunesse et revient vieillissant.

Ripstein a renié Tiempo de morir. On a le droit de ne pas être d’accord avec lui. Tout en s’inscrivant ouvertement dans une tradition très américaine du genre, jusqu’à citer le dernier plan de La Prisonnière du Désert dans la scène d’ouverture, Ripstein s’approprie totalement les codes du western, dégraissant totalement le récit pour se recentrer sur le poids du destin et sur l’aspect mortifère des personnages.

Le rythme lent, fascinant, est renforcé par la longueur des plans, souvent plans-séquence très mobiles qui suivent constamment les personnages, où les rares accélérations de l’action sont illustrées par une caméra soudain portée nerveusement. Ce pourrait être lourdement pesant, c’est pourtant plein de vie, d’une immense soif de vivre. Fascinant et rêche, Tiempo de morir révèle d’emblée le talent du jeune cinéaste.

In hell (id.) – de Ringo Lam – 2003

Posté : 7 décembre, 2021 @ 8:00 dans 2000-2009, ACTION US (1980-…), LAM Ringo | Pas de commentaires »

In hell

Troisième et dernier film commun pour Ringo Lam et Jean-Claude Van Damme. Cette série B carcérale confirme que le cinéaste hong-kongais est à peu près ce qui est arrivé de mieux à la carrière du Belge castagneur. Il est très bien, comme il l’était dans le double-rôle de Réplicant, en homme brisé par la mort de sa femme, qui se retrouve enfermé dans une terrible prison en Russie, sorte de variante de l’enfer sur terre…

L’histoire est classique, oui. Van Damme lui-même s’était d’ailleurs déjà prêté à ce sous-genre du film de prison dans Coup pour coup. Dans In hell, on sent comme rarement sa volonté de ne pas imposer son propre style, mais de se laisser embarquer dans celui de son réalisateur. Un vrai acteur, donc, quoi qu’on en dise. Alors oui, il y a quelques bastons bien corsées, mais pas dans le genre habituel de Van Damme. Peu de coups de pied retournés, pas de grand écart : ça frappe sec et dur, ça sent la sueur, le sang et la crasse, la violence est laide et radicale.

In hell n’est pas un film parfait, loin de là. Scénario basique, seconds rôles caricaturaux et pas toujours très inspirés, quelques effets faciles aussi. On pourrait ajouter à ce constat une musique assez affreuse, et une image pisseuse franchement laide. Mais ces choix semblent assumés : des parti-pris assez radicaux de Lam, qui signe moins un film d’action derrière les barreaux qu’une plongée dérangeante dans un univers déshumanisant.

Pas un grand film, non, mais un Van Damme surprenant, poisseux et inconfortable. Un sommet, dans sa carrière.

Untel père et fils – de Julien Duvivier – 1940-1943

Posté : 6 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1940-1949, DUVIVIER Julien | Pas de commentaires »

Untel père et fils

L’histoire d’une famille ballottée par trois guerres. Untel père et fils, tourné pendant la drôle de guerre, ne sortira qu’en 1943 aux Etats-Unis, et après la libération en France, œuvre de propagande, appel à la réconciliation, film profondément antimilitariste. On connaît l’humanisme de Julien Duvivier, on le retrouve avec une belle sincérité et une grande ambition dans ce film sans doute trop ample, qui cherche à aborder trop de thèmes indispensables en ces temps troublés.

Le film commence pendant le siège de Paris en 1871, pour se terminer presque soixante-dix ans après, alors que l’Allemagne nazie menace l’ordre mondial. Entre-temps : quelques joies, beaucoup de drames, les générations qui passent, les jeunes gens d’hier qui deviennent vieux , avec ou sans leurs espoirs de jeunesse. Le film est riche et dense. Trop peut-être, trop plein de personnages, trop plein de beaux sentiments aussi, comme si Duvivier sentait la nécessité impériale de tout dire avant qu’il soit trop tard.

Il faut absolument remettre dans le contexte historique du tournage pour accepter les faiblesses du film, son côté pot-pourri d’émotions qui serait indigeste s’il n’était parsemé de quelques très beaux moments. La première séquence pour commencer, avec ce gamin, titi gouailleur d’un Montmartre encore rural, qui passe à côté de ses adieux avec son père, joli rôle pour un Louis Jouvet parfait.

Le même Jouvet aura d’ailleurs droit à d’autres très beaux moments, cette fois dans le rôle du titi devenu grand et amoureux malheureux (de Renée Devillers qui formera avec lui l’un des plus beaux couples du cinéma dans Les Amoureux sont seuls au monde). Sa déclaration tardive, à peine déguisée, est bouleversante. Comme l’est son délire presque fatal dans cette Afrique équatoriale où il s’est réfugié.

Untel père et fils est plein de grands drames souvent hors champs : un militaire qui tient les frusques d’un soldat mort, une mère éplorée qui apparaît derrière les vitres d’une salle de classe… Duvivier place la guerre au cœur de sa fresque familiale, mais sans jamais dévier de cette vision familiale : il ne filme que les petits drames et les petites joies, les naissances, les premiers baisers, les disputes, les soirées ratées… Ces petits riens qui devraient suffire à faire une vie, sans la guerre.

Le message est bien passé : Duvivier se fait le porte-parole des sans grades qui enragent de devoir souffrir de ces guerres qu’ils n’ont ni choisi ni voulu. Pour le coup, le message importe plus au cinéaste que la construction de son film, sans doute l’un des moins tenus du point de la narration de la carrière de Duvivier, qui n’évite pas à l’aspect énumération, passant d’une scène à l’autre sans grande cohérence parfois.

Les plaisirs sont partout : Robert Le Vigan domptant l’un des premiers biplans de l’histoire, Raimu faisant régner l’ordre dans toutes les langues et avec bonté dans un immeuble multiculturel, ou Michèle Morgan dévoilant son amour dans un studio d’artiste sous les combles. Il manque du corps, un liant, une ligne, mais ces petits plaisirs, déjà, ce n’est pas rien.

Sonate d’automne (Höstsonaten) – d’Ingmar Bergman – 1978

Posté : 5 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1970-1979, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Sonate d'automne

Ingmar Bergman et Ingrid Bergman… La rencontre de ces deux monstres sacrés semblait aussi improbable qu’incontournable. Parce que tous deux sont sans doute ce que le cinéma suédois a produit de plus prestigieux, de plus populaire, au-delà de leur étrange homonymie. Il aura pourtant fallu attendre le dernier moment pour que cette rencontre se concrétise.

En 1978, Ingmar s’intéresse de plus en plus à la télévision : même si plusieurs de ses films à venir sortiront en salles, tous seront tournés initialement pour le petit grand. Quand à Ingrid, trois ans après son ultime Oscar (du second rôle, pour Le Crime de l’Orient Express), elle fait avec Sonate d’automne ses adieux au cinéma… en même temps que son premier film suédois depuis quarante ans.

Bien sûr, la perfectionniste et ambitieuse Ingrid Bergman ne pouvait pas ne pas rêver de tourner avec l’immense Ingmar. La cohabitation, pourtant, n’a pas été simple, l’actrice, habituée à être écoutée, n’ayant pas la même vision de son personnage que le cinéaste… habitué à être écouté. Malgré les tensions, Ingrid fait preuve d’un beau courage d’actrice, se laissant filmer sans fard et vieillie par la caméra si proche d’Ingmar. Elle est extraordinaire.

Liv Ullman l’est aussi, d’ailleurs. Le film est en grande partie un huis clos étouffant entre les deux actrices, la mère et la fille. La première, grande pianiste qui accepte mal les années et la solitude. La seconde, jeune femme vivant avec le traumatisme d’une enfance perdue à rechercher l’amour maternel. Elles ne se sont pas vues depuis sept ans lorsque la fille se décide à inviter la mère à les rejoindre, son mari et elle, dans leur maison isolée dans la campagne norvégienne.

Bergman (Ingmar) filme les visages comme des fenêtres ouvertes sur les âmes de ses personnages. Une première séquence fait ainsi naître le trouble : lorsque Eva (Liv Ullman) se décide à jouer un air pour sa mère Charlotte, la caméra ne filme plus que le visage d’Ingrid Bergman en très gros plan. Et ce visage dit plus que n’importe quel dialogue sur ce que ressent la mère, ou plutôt sur ce qu’elle ressent à peine, si lointaine, si vide d’empathie.

Dans le cinéma de Bergman, les rapports entre les êtres sont rarement simples. Ici, cette relation mère-fille révèle bien plus que des failles. On pressent constamment la cruauté de ce rapport filial, cette cruauté éclate de la plus spectaculaire des façons, avec hystérie presque, en tout cas avec une hargne ravalée depuis tant d’années.

Il y a le sens du cadre si éclatant de Bergman : cette manière surtout de juxtaposer deux visages en gros plan, l’un de face l’autre de profil. Plans si intenses qui en disent si long sur l’incommunicabilité des personnages. Il y a aussi des parti-pris radicaux : cette manière surtout de mettre en parallèle des séquences extrêmement dialoguées, y compris par des monologues intérieurs parfois face caméra, avec des flash-backs sonores mais muets, cadrés comme des tableaux de Vermeer.

Intense, dérangeant, et beau.

Un balcon sur la mer – de Nicole Garcia – 2010

Posté : 4 décembre, 2021 @ 8:00 dans 2010-2019, GARCIA Nicole | Pas de commentaires »

Un balcon sur la mer

« Je me suis perdu. » Une ultime réplique, toute simple en apparence, mais qui provoque des torrents d’émotion, comme si Nicole Garcia ouvrait d’un coup toutes les vannes, de tous ces sentiments étouffés, ces souvenirs réfrénés, qui sont au cœur de ce très beau film bien à sa manière. A sa manière, c’est-à-dire intense, ambitieux, généreux, et si intime. Nicole Garcia filme ses personnages, ses décors même, comme si chaque plan devait être le plus important de sa vie. Sa vision du Sud de la France (et de l’Algérie) ne pourrait pas être filmé par un autre qu’elle. Et devant sa caméra, les acteurs semblent se révéler plus que jamais.

Jean Dujardin est simplement extraordinaire dans le rôle de cet agent immobilier, marié et père de famille, dont l’enfance refoulée surgit sans crier gare et remet en cause tout son confort bourgeois, lorsqu’il rencontre par hasard une jeune femme qu’il a aimé lorsqu’ils étaient gosses, à Oran, dans les derniers temps de l’Algérie coloniale. Trouble, attirance, souvenirs qui réapparaissent… et qui ne sont peut-être pas si limpides que ça.

« On n’a pas tous les mêmes souvenirs », lance Marie-Josée Croze, elle aussi magnifique dans le rôle de cette blonde apparition, qui semble constamment cacher quelque chose. Difficile, bien sûr, de ne pas penser à la Kim Novak de Sueurs froides, référence assez évidente, sans en dire trop. Il y a une sorte de suspense hitchockien dans Un balcon sur la mer. Il y a aussi une arnaque financière pas vraiment indispensable, qui n’apporte pas grand-chose.

Il y a surtout le rapport au passé. Aux souvenirs, plutôt. Cette errance de Jean Dujardin dans les éclats de sa mémoire, ces réminiscences constamment confrontées à une réalité qui le détrompe. Nicole Garcia utilise admirablement les flash-backs, comme des bribes de son histoire qui reviennent à la mémoire de Marc (Dujardin). La musique, superbe, est là pour faire éclater plus fort encore cette émotion qui vous tenaille.

Me voilà totalement conquis par ce film merveilleux, par cette femme et cet homme perdus, qui apprennent à se réconcilier avec leur enfance et avec eux-mêmes, par les personnages périphériques qui ne peuvent qu’assister impuissant au drame qui se noue (parmi lesquels Sandrine Kiberlain, Michel Aumont, et Claudia Cardinale dans rôle modeste mais beau de la mère de Marc). Nicole Garcia, qui a elle-même dû quitter Oran lors de l’indépendance en 1962, à peu près au même âge que ses personnages, a peut-être bien signé son chef d’œuvre, et son film le plus personnel.

Une gamine charmante (The Patsy) – de King Vidor – 1928

Posté : 3 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, VIDOR King | Pas de commentaires »

Une gamine charmante

Voilà un Vidor totalement inattendu. Léger, charmant et drôle : des mots que l’on n’associe pas forcément immédiatement à l’œuvre du cinéaste, souvent nettement plus sombre et engagé. Vidor sort d’ailleurs de La Foule, l’un de ses chefs d’œuvre, film social et engagé d’une ampleur rare, où la légèreté n’est pas vraiment de mise. The Patsy, avec lequel il enchaîne la même année, a donc tout d’une simple récréation.

C’est un peu rapide : cette « récréation » dévoile surtout le talent insoupçonné de Vidor pour la comédie, qu’il filme avec la même intensité, la même science du rythme et de la dramaturgie que ses grands drames. L’histoire, pourtant, semble réduite à la plus grande simplicité, débarrassée de tout artifice dramaturgique trop facile. C’est donc d’une simplicité confondante.

Une toute jeune femme, amoureuse du fiancée de sa sœur. Sœur pas sympa d’ailleurs, qui prend un malin plaisir, tout comme leur mère, à harceler et martyriser la pauvrette, défendue timidement par un papa gentiment soumis. Et le fiancé ? Il n’a d’yeux, comme tous les hommes, que pour la méchante sœur, la trop douce héroïne passant presque inaperçue.

Elle est pourtant charmante, cette jeune femme, incarnée par Marion Davies, la pauvre starlette réduite à jamais dans l’histoire du cinéma à la maîtresse de William Randolph Hearst. The Patsy prouve qu’elle est bien plus que ça : une vraie actrice, une star en puissance même, craquante et pleine de malice, frêle silhouette qui dévore l’écran face à la sœur interprétée par Jane Winton, et tout le reste du casting.

Il y a aussi Marie Dressler, l’imposante, le dragon, gargantuesque comme toujours en mère castratrice et odieuse. Une relecture tout à fait crédible de la marâtre de Cendrillon… A ceci près que le prince charmant est à baffer, et que Vidor est un humaniste que rien n’intéresse tant que les sursauts de bonté des plus affreux de ses personnages.

The Patsy est donc un film vraiment léger, triangle amoureux plein de drôlerie, véritable tourbillon superbement réalisé par un Vidor qui ne renonce en rien à ses ambitions esthétiques avec cette bluette. Un travelling savant dans un club, le parallèle très évocateur de deux couples en formation à bord d’un yacht pour l’un et d’un canot à rames pour l’autre, des imitations saisissantes de quelques stars de cinéma (dont Lilian Gish, pour qui Vidor avait une passion)… Léger et presque anodin sur le fond, The Patsy est une merveille, digne des grands classiques du cinéaste.

Entrée des artistes – de Marc Allégret – 1938

Posté : 2 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1930-1939, ALLEGRET Marc | Pas de commentaires »

Entrée des artistes

Il y a deux films dans Entrée des artistes. D’abord, celui que l’histoire a retenu : une vision quasi-documentaire des coulisses du Conservatoire, avec Louis Jouvet dans le rôle d’un professeur d’art dramatique qui pourrait s’appeler Louis Jouvet, que l’on voit donner des cours à quelques-uns de ses élèves, parmi lesquels Bernard Blier.

Cette partie là du film est passionnante, et assez fascinante parce qu’elle nous donne à voir les difficultés, la cruauté même de l’apprentissage du métier d’acteur. La mise en scène y est pleine de vie, pleine d’humanité et d’empathie pour ces personnages qui, d’une certaine manière, ont tous décidé de renoncer à quelque chose pour vivre cette vie d’incertitude et de passion. Jouvet y règne en maître. Ou plutôt non : il y est un maître qui ne règne pas, qui se met constamment au niveau de ses élèves. Il y est absolument magnifique, dans un rôle forcément difficile : presque lui. Et ce presque lui, il l’incarne avec une justesse absolue.

Il s’y livre aussi, mine de rien, comme dans cette scène superbe où il refuse le renoncement de l’une de ses élèves. « J’ai eu 17 ans, je ne les ai plus parce que tu les as… Les 17 ans, il n’y en a pas pour tout le monde à la fois. » Du Henri Jeanson dans le texte, mais dieu que Jouvet les dit bien, ces mots de Jeanson, son auteur préféré, celui qui lui offrira le sublime écrin des Amoureux sont seuls au monde. Ici, Jeanson joue admirablement sur la présence du grand Jouvet, dans ce rôle si visiblement transparent.

La porosité entre la fiction et la réalité est au cœur du film. Cela peut donner une autre très belle scène, approche méta comme les aime Jeanson, le futur scénariste de La Fête à Henriette. François et Isabelle dans une chambre au petit matin, presque entièrement habillés. Et lui : « Au cinéma, quand on veut montrer avec subtilité, sans le dire, à cause des enfants au-dessus de 6 ans, que deux êtres se sont aimés, on promène le regard du spectateur tout autour de la chambre. On lui montre une cigarette qui se consume, un lit défait, un oreiller qui est tombé par terre… » Exactement ce que montre la caméra d’Allégret dans le même mouvement.

Cela donne aussi un final qui tire vers le polar, et qui lui peine à convaincre. Entrée des artistes n’est, hélas, que ponctuellement centré sur les coulisses du Conservatoire. L’essentiel de l’intrigue est donc basé sur l’histoire d’amour d’Isabelle et François (Jeanine Darcey et Claude Dauphin), et à la passion contrarié de Cœcilia (Odette Joyeux), trois apprentis comédiens pour lesquels la frontière entre la réalité et la comédie a une tendance à être floue. Sur le papier en tout cas, mais Allégret échoue à donner du corps à ce trouble qu’on imagine central dans le scénario de Jeanson, et on reste largement étranger à la passion de ce triangle amoureux.

Dommage. Entrée des artistes est sans doute d’avantage un film de scénariste que de réalisateur. On y prend toutefois un vrai plaisir, grâce aux excellents seconds rôles (les incontournables Dalio, Blier, Roquevert, et une mention à Carette, formidable en petit journaliste un peu dépassé), et pour la vision qu’il nous offre de Jouvet au travail. Même si le plan, tellement long et enamouré qu’il en devient gênant, est là pour nous rappeler qu’on est bien dans une fiction, et pas dans un documentaire…

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