Seuls les anges ont des ailes (Only angels have wings) – de Howard Hawks – 1939
Voilà du Hawks pur jus, et du meilleur cru. Disons-le franchement : Seuls les anges ont des ailes est à classer au rang des immenses réussites du gars, à côté de classiques comme Le Port de l’angoisse, et plus encore Rio Bravo. C’est dire. Vingt ans avant son superbe western, Hawks signe avec cette ode à l’aéropostale (trois ans après Brumes) l’un de ces films d’homme comme il les aime tant. Pas un film misogyne, non, mais un film sur un univers purement masculins, où il est bien difficile pour une femme de trouver sa place.
Cary Grant en sait quelque chose, lui qui trimballe derrière un cynisme radical une blessure de cœur causée, on l’apprendra tardivement, par Rita Hayworth. Toute jeune, et déjà d’une beauté foudroyante. Cette douleur, Grant la noie sous un autoritarisme brutal, avec lequel il dirige ce petit aérodrome dans les montagnes, loin semble-t-il de la civilisation. Sa première apparition déconcerte d’ailleurs, l’élégant et rigolard héros de comédies se transformant en aventurier au regard sombre et au blouson de cuir. Même la tigresse Jean Arthur, jeune femme indépendante échouée par hasard dans ce coin paumé aura bien du mal à percer l’armure.
Un univers d’hommes, avec son équilibre si imparfait, bouleversé par l’arrivée d’une femme, puis de deux… C’est peut-être, avec Rio Bravo donc, le plus hawksien de tous les films de Hawks. L’un des plus parfaits, avec son rythme trépidant, et sa construction tellement parfaite qu’elle frise l’abstraction. Les 120 minutes du film coulent avec une évidence absolue, à tel point qu’on en oublie les énormes ficelles scénaristiques…
Un nouveau pilote débarque dans ce microcosme si fermé ? Le hasard veut que ce soit l’homme qui a provoqué par lâcheté la mort du frère de l’un des personnages principaux, le toujours attachant Thomas Mitchell. Et ce nouveau pilote (Richard Barthelmess, qui avait déjà joué les hommes de l’air pour Hawks dans La Patrouille de l’aube) arrive avec sa femme… qui ne peut être que Rita, celle qui a brisé le cœur de Cary.
Improbable, oui, mais qu’importe : seul compte la fluidité, le rythme, et l’émotion toujours contenue, en tout cas jusqu’à un gros plan sur des yeux enfin humides. Seuls les anges ont des ailes est un chef d’œuvre à tous les niveaux : dans la manière de mettre en scène cet univers d’hommes, et d’y confronter deux femmes très différentes, pour la qualité et la simplicité de ses scènes aériennes, mais aussi et surtout pour les moments en creux.
Cette atmosphère si typique des films d’Hawks, cette capacité qu’il a de créer un cocon de bien-être au cœur d’un drame, par la grâce de quelques plans resserrés autour d’un petit groupe, d’une lumière tamisée, et de quelques notes de musique. Un chef d’œuvre, du genre de ce qu’Hollywood peut faire de mieux…