Un temps pour mourir (Tiempo de morir) – d’Arturo Ripstein – 1966
Arturo Ripstein a une bonne vingtaine d’années lorsqu’il réalise ce premier film, western mexicain écrit par Gabriel Garcia Marquez et Carlos Fuentes (sacrées signatures, quand même). L’âge du jeune réalisateur n’est pas un détail, tant il semble à contre-temps avec le sujet et le ton du film.
Une histoire assez classique de western, à vrai dire : un homme revient dans son village après des années de prison, mais doit affronter la haine des enfants de l’homme qu’il a tué il y a si longtemps. Ce qui est moins classique en revanche, c’est le rythme, lent, comme écrasé par cette chaleur qui ralentit tout.
« S’il n’y avait pas les morts qu’on a enterré ici, on aurait quitté cet endroit depuis longtemps », commente le barbier. Le décor, c’est vrai, est plus dominé par la poussière et les traces des morts passés, que par les signes de vie. Murs crasseux, ruelles désertes, végétation rare… Cette petite ville semble n’être qu’un passage vers la mort, comme un symbole de ce qui reste de Juan après 18 ans de prison.
Juan, le personnage central du film, à qui Jorge Martinez de Hoyos (qu’on a vu dans Les Sept Mercenaires ou Les Professionnels) apporte sa démarche lourde et fatiguée, et son regard presque enfantin. C’est avec lui qu’on entre dans le film, la caméra de Ripstein le suivant longuement, traversant à pied des paysages désertiques entre la prison qu’il quitte et le village où sa vie s’est arrêtée, et où il retourne.
Avant d’y arriver, une croix se dresse sur son passage, et c’est là que la caméra le filme enfin de face, comme un symbole, comme l’annonce de ce qu’on sent bien déjà écrit. Le temps qui passe, l’inéluctable marche du temps, le poids de ses actions… Des thèmes forts et rares qui, au-delà du rythme étonnant, font le poids du film, beau portrait d’un homme qui est parti dans la force de sa jeunesse et revient vieillissant.
Ripstein a renié Tiempo de morir. On a le droit de ne pas être d’accord avec lui. Tout en s’inscrivant ouvertement dans une tradition très américaine du genre, jusqu’à citer le dernier plan de La Prisonnière du Désert dans la scène d’ouverture, Ripstein s’approprie totalement les codes du western, dégraissant totalement le récit pour se recentrer sur le poids du destin et sur l’aspect mortifère des personnages.
Le rythme lent, fascinant, est renforcé par la longueur des plans, souvent plans-séquence très mobiles qui suivent constamment les personnages, où les rares accélérations de l’action sont illustrées par une caméra soudain portée nerveusement. Ce pourrait être lourdement pesant, c’est pourtant plein de vie, d’une immense soif de vivre. Fascinant et rêche, Tiempo de morir révèle d’emblée le talent du jeune cinéaste.