Untel père et fils – de Julien Duvivier – 1940-1943
L’histoire d’une famille ballottée par trois guerres. Untel père et fils, tourné pendant la drôle de guerre, ne sortira qu’en 1943 aux Etats-Unis, et après la libération en France, œuvre de propagande, appel à la réconciliation, film profondément antimilitariste. On connaît l’humanisme de Julien Duvivier, on le retrouve avec une belle sincérité et une grande ambition dans ce film sans doute trop ample, qui cherche à aborder trop de thèmes indispensables en ces temps troublés.
Le film commence pendant le siège de Paris en 1871, pour se terminer presque soixante-dix ans après, alors que l’Allemagne nazie menace l’ordre mondial. Entre-temps : quelques joies, beaucoup de drames, les générations qui passent, les jeunes gens d’hier qui deviennent vieux , avec ou sans leurs espoirs de jeunesse. Le film est riche et dense. Trop peut-être, trop plein de personnages, trop plein de beaux sentiments aussi, comme si Duvivier sentait la nécessité impériale de tout dire avant qu’il soit trop tard.
Il faut absolument remettre dans le contexte historique du tournage pour accepter les faiblesses du film, son côté pot-pourri d’émotions qui serait indigeste s’il n’était parsemé de quelques très beaux moments. La première séquence pour commencer, avec ce gamin, titi gouailleur d’un Montmartre encore rural, qui passe à côté de ses adieux avec son père, joli rôle pour un Louis Jouvet parfait.
Le même Jouvet aura d’ailleurs droit à d’autres très beaux moments, cette fois dans le rôle du titi devenu grand et amoureux malheureux (de Renée Devillers qui formera avec lui l’un des plus beaux couples du cinéma dans Les Amoureux sont seuls au monde). Sa déclaration tardive, à peine déguisée, est bouleversante. Comme l’est son délire presque fatal dans cette Afrique équatoriale où il s’est réfugié.
Untel père et fils est plein de grands drames souvent hors champs : un militaire qui tient les frusques d’un soldat mort, une mère éplorée qui apparaît derrière les vitres d’une salle de classe… Duvivier place la guerre au cœur de sa fresque familiale, mais sans jamais dévier de cette vision familiale : il ne filme que les petits drames et les petites joies, les naissances, les premiers baisers, les disputes, les soirées ratées… Ces petits riens qui devraient suffire à faire une vie, sans la guerre.
Le message est bien passé : Duvivier se fait le porte-parole des sans grades qui enragent de devoir souffrir de ces guerres qu’ils n’ont ni choisi ni voulu. Pour le coup, le message importe plus au cinéaste que la construction de son film, sans doute l’un des moins tenus du point de la narration de la carrière de Duvivier, qui n’évite pas à l’aspect énumération, passant d’une scène à l’autre sans grande cohérence parfois.
Les plaisirs sont partout : Robert Le Vigan domptant l’un des premiers biplans de l’histoire, Raimu faisant régner l’ordre dans toutes les langues et avec bonté dans un immeuble multiculturel, ou Michèle Morgan dévoilant son amour dans un studio d’artiste sous les combles. Il manque du corps, un liant, une ligne, mais ces petits plaisirs, déjà, ce n’est pas rien.