Sonate d’automne (Höstsonaten) – d’Ingmar Bergman – 1978
Ingmar Bergman et Ingrid Bergman… La rencontre de ces deux monstres sacrés semblait aussi improbable qu’incontournable. Parce que tous deux sont sans doute ce que le cinéma suédois a produit de plus prestigieux, de plus populaire, au-delà de leur étrange homonymie. Il aura pourtant fallu attendre le dernier moment pour que cette rencontre se concrétise.
En 1978, Ingmar s’intéresse de plus en plus à la télévision : même si plusieurs de ses films à venir sortiront en salles, tous seront tournés initialement pour le petit grand. Quand à Ingrid, trois ans après son ultime Oscar (du second rôle, pour Le Crime de l’Orient Express), elle fait avec Sonate d’automne ses adieux au cinéma… en même temps que son premier film suédois depuis quarante ans.
Bien sûr, la perfectionniste et ambitieuse Ingrid Bergman ne pouvait pas ne pas rêver de tourner avec l’immense Ingmar. La cohabitation, pourtant, n’a pas été simple, l’actrice, habituée à être écoutée, n’ayant pas la même vision de son personnage que le cinéaste… habitué à être écouté. Malgré les tensions, Ingrid fait preuve d’un beau courage d’actrice, se laissant filmer sans fard et vieillie par la caméra si proche d’Ingmar. Elle est extraordinaire.
Liv Ullman l’est aussi, d’ailleurs. Le film est en grande partie un huis clos étouffant entre les deux actrices, la mère et la fille. La première, grande pianiste qui accepte mal les années et la solitude. La seconde, jeune femme vivant avec le traumatisme d’une enfance perdue à rechercher l’amour maternel. Elles ne se sont pas vues depuis sept ans lorsque la fille se décide à inviter la mère à les rejoindre, son mari et elle, dans leur maison isolée dans la campagne norvégienne.
Bergman (Ingmar) filme les visages comme des fenêtres ouvertes sur les âmes de ses personnages. Une première séquence fait ainsi naître le trouble : lorsque Eva (Liv Ullman) se décide à jouer un air pour sa mère Charlotte, la caméra ne filme plus que le visage d’Ingrid Bergman en très gros plan. Et ce visage dit plus que n’importe quel dialogue sur ce que ressent la mère, ou plutôt sur ce qu’elle ressent à peine, si lointaine, si vide d’empathie.
Dans le cinéma de Bergman, les rapports entre les êtres sont rarement simples. Ici, cette relation mère-fille révèle bien plus que des failles. On pressent constamment la cruauté de ce rapport filial, cette cruauté éclate de la plus spectaculaire des façons, avec hystérie presque, en tout cas avec une hargne ravalée depuis tant d’années.
Il y a le sens du cadre si éclatant de Bergman : cette manière surtout de juxtaposer deux visages en gros plan, l’un de face l’autre de profil. Plans si intenses qui en disent si long sur l’incommunicabilité des personnages. Il y a aussi des parti-pris radicaux : cette manière surtout de mettre en parallèle des séquences extrêmement dialoguées, y compris par des monologues intérieurs parfois face caméra, avec des flash-backs sonores mais muets, cadrés comme des tableaux de Vermeer.
Intense, dérangeant, et beau.
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