Un balcon sur la mer – de Nicole Garcia – 2010
« Je me suis perdu. » Une ultime réplique, toute simple en apparence, mais qui provoque des torrents d’émotion, comme si Nicole Garcia ouvrait d’un coup toutes les vannes, de tous ces sentiments étouffés, ces souvenirs réfrénés, qui sont au cœur de ce très beau film bien à sa manière. A sa manière, c’est-à-dire intense, ambitieux, généreux, et si intime. Nicole Garcia filme ses personnages, ses décors même, comme si chaque plan devait être le plus important de sa vie. Sa vision du Sud de la France (et de l’Algérie) ne pourrait pas être filmé par un autre qu’elle. Et devant sa caméra, les acteurs semblent se révéler plus que jamais.
Jean Dujardin est simplement extraordinaire dans le rôle de cet agent immobilier, marié et père de famille, dont l’enfance refoulée surgit sans crier gare et remet en cause tout son confort bourgeois, lorsqu’il rencontre par hasard une jeune femme qu’il a aimé lorsqu’ils étaient gosses, à Oran, dans les derniers temps de l’Algérie coloniale. Trouble, attirance, souvenirs qui réapparaissent… et qui ne sont peut-être pas si limpides que ça.
« On n’a pas tous les mêmes souvenirs », lance Marie-Josée Croze, elle aussi magnifique dans le rôle de cette blonde apparition, qui semble constamment cacher quelque chose. Difficile, bien sûr, de ne pas penser à la Kim Novak de Sueurs froides, référence assez évidente, sans en dire trop. Il y a une sorte de suspense hitchockien dans Un balcon sur la mer. Il y a aussi une arnaque financière pas vraiment indispensable, qui n’apporte pas grand-chose.
Il y a surtout le rapport au passé. Aux souvenirs, plutôt. Cette errance de Jean Dujardin dans les éclats de sa mémoire, ces réminiscences constamment confrontées à une réalité qui le détrompe. Nicole Garcia utilise admirablement les flash-backs, comme des bribes de son histoire qui reviennent à la mémoire de Marc (Dujardin). La musique, superbe, est là pour faire éclater plus fort encore cette émotion qui vous tenaille.
Me voilà totalement conquis par ce film merveilleux, par cette femme et cet homme perdus, qui apprennent à se réconcilier avec leur enfance et avec eux-mêmes, par les personnages périphériques qui ne peuvent qu’assister impuissant au drame qui se noue (parmi lesquels Sandrine Kiberlain, Michel Aumont, et Claudia Cardinale dans rôle modeste mais beau de la mère de Marc). Nicole Garcia, qui a elle-même dû quitter Oran lors de l’indépendance en 1962, à peu près au même âge que ses personnages, a peut-être bien signé son chef d’œuvre, et son film le plus personnel.