Une si jolie petite plage – d’Yves Allégret – 1949
Une nuit pluvieuse, un jeune homme au regard triste arrive dans une petite station balnéaire du Nord de la France à bord d’un vieil autobus. Nous sommes dans la morte saison. Le pays est désert, lugubre, et semble se limiter à un garage, quelques façades, et un hôtel. A l’intérieur, quelques habitués trompent l’ennui. Remplacez le bus par une diligence. Remplacez l’hôtel par un saloon. Yves Allégret ouvre son film comme si c’était un western, avec un héros taciturne, une patronne de bar amicale, une nature ouvertement hostile, et même un old timer au regard vif.
Etrange et fascinante introduction, pour un film qui doit ensuite nettement plus au film noir, dont la photo spectaculaire d’Henri Alekan reprend clairement les codes. La pluie incessante et les grandes étendues désertes de cette plage qui semble ne pas avoir de limites contribuent pour beaucoup à cette atmosphère tragique, dont on sent bien que rien de très positif ne pourra en sortir. Une si jolie petite plage s’inscrit en cela dans la lignée d’un Quai des brumes, et de tout un pan du cinéma dramatique français.
Gérard Philippe y trouve l’un de ses très grands rôles : un homme poursuivi par ses souvenirs, et par un acte qu’il a commis. Le scénario de Jacques Sigurd (qui avait déjà écrit Dédée d’Anvers pour Allégret) a cette audace un peu folle de ne jamais rien dire explicitement de ce passé si pesant. On finit par comprendre très exactement ce qui s’est passé avant que le film ne commence, mais sans le moindre flash-back, sans même aucun discours explicatif. Juste un disque qui passe, la remarque innocente de la patronne de l’hôtel (Jane Marken), une autre d’un client de passage (Carette), un disque qui passe inlassablement… ou les réminiscences d’un gamin qui semble être le miroir de ce qu’était le personnage de Gérard Philippe.
Un gamin de l’assistance en l’occurrence, traité comme un esclave et au destin forcément tragique, même si un carton explicatif assure au spectateur, au début et à la fin, que le film n’est pas une condamnation de l’assistance publique… Sans doute le parallèle entre ce qu’est devenu l’orphelin Gérard Philippe et ce gamin qui lui ressemble tant est-il un peu trop systématique. Mais il y a dans ce film un vrai souffle tragique, qui passe certes par de longs plans à l’esthétique mortifère, mais aussi par d’infimes signes qui font appel à l’intelligence du spectateur plutôt qu’à des signes trop appuyés.
Il y a, surtout, le personnage magnifique de la serveuse, jouée par Madeleine Robinson, superbe actrice qui ne cède jamais ni au misérabilisme, ni à la séduction facile. Une jeune femme tout aussi paumée que le personnage de Philippe, mais résignée, presque sage. Le moment d’intimité que ces deux-là partagent dans une cabane miteuse du bord de mer est peut-être le plus beau du film, comme une parenthèse de douceur et de quiétude, qui ne présage pour autant d’aucun signe d’optimisme.
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