Profession : Reporter (Professione : Reporter) – de Michelangelo Antonioni – 1975
Le début est fascinant. Dans cette première partie quasiment muette, la caméra ne quitte pas la silhouette ou le regard de David Locke, dont on comprend qu’il est reporter, Américain perdu au cœur de l’Afrique noire. On le découvre faisant son entrée dans un petit village coupé de tout, tenter de trouver un guide vers on ne sait où, presque sans dire un mot : la barrière de la langue, la barrière de la culture.
Le poids de cette vie si loin de tout est perceptible, à chaque incident : un guide qui prend la fuite, une voiture qui s’ensable… David est à bout. Jack Nicholson, marmoréen et las, est formidable dans le rôle de cet homme fatigué de son existence. Lui qui a su par ailleurs surinterpréter les émotions est ici d’une placidité impénétrable, toute Antonionienne… Il retrouve son voisin d’hôtel mort, victime d’une crise cardiaque ? Il décide d’échanger son identité avec le mort, qui lui ressemble justement étrangement.
Cette lassitude suffit-elle à expliquer ce changement d’identité ? A chacun de se faire son avis : Antonioni n’est pas exactement du genre à mâcher le travail du spectateur. Encore que, ici, l’histoire soit remarquablement linéaire, et tangible. Encore que la narration emprunte parfois des chemins de traverse, comme cette fascinante scène, au moment de l’échange d’identité, où, dans le même plan, le Locke devenu Robertson croise le Locke d’un flash-back.
Superbe moment. Il y en aura d’autres, jusqu’à l’ultime scène, long et extraordinaire plan séquence à l’ampleur fascinante, mais où le dénouement se joue hors champs, derrière cette caméra qui se faufile entre les barreaux d’une fenêtre. Avant ça, Antonioni joue avec l’identité, la perception, l’envie d’ailleurs. Il flirte avec les codes du suspense, plonge notre « héros » malgré lui dans un trafic d’armes international, le pousse dans les bras d’une jeune globe-trotteuse sans attache incarnée par Maria Schneider…
Surtout, Antonioni fait de Nicholson un homme coupé de sa propre identité, coupé du monde, toujours étonné que ses compagnons d’un moment trouvent beau les paysages qui l’entourent, et qu’il regarde à peine. Les travellings soulignent sa solitude, son refus de renouer avec le monde. Le propos est à la fois simple et obscur, mais fascinant, troublant. Et Jack Nicholson trouve là l’un de ses très grands rôles.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.