L’Aigle bleu (The Blue Eagle) – de John Ford – 1926
Il y a un rythme fou dans ce muet méconnu de Ford. Moins ambitieux, certes, que les grands westerns épiques (Le Cheval de fer, Trois sublimes canailles) qu’il venait de tourner avec George O’Brien, une nouvelle fois tête d’affiche de ce qui s’apparente dans un premier temps à un drame naval sur fond de première guerre mondiale.
En fait, cette partie maritime n’est qu’un prologue, d’autant plus court que le film tel qu’il nous est parvenu est amputé d’une bobine, très prometteuse : une bataille navale qui semble fort spectaculaire, et qui se termine par un drame qui tiendra un rôle important dans la dernière partie du film.
Les bases de l’histoire, toutefois, sont bien posées : deux hommes ennemis dans le civil, deux chefs de bandes, deux rivaux amoureux de la même jeune femme, doivent ravaler leur rancœur tant que la guerre dure, d’autant plus qu’ils sont tous deux enfermés dans la même cale, alimentant les chaudières d’un navire de la marine.
Dès ces premières images, on retrouve le goût de Ford pour les relations viriles d’univers très masculins. Il y a quand même un triangle amoureux au cœur du film, et Ford reforme qui plus est le couple inoubliable de L’Aurore. Mais Janet Gaynor a beau jouer un rôle important, au moins moralement (avant même qu’elle n’apparaisse à l’écran, elle attise bien innocemment les rancœurs en envoyant des lettres aux deux rivaux), elle est reléguée aux arrière-plans.
Ford semble à vrai dire ne pas bien savoir quoi faire de cette petite jeune femme si mimi, qu’il filme comme une enfant… comme d’ailleurs les rares autres personnages féminins, à qui il n’accorde que les quelques plans strictement nécessaires à son intrigue. The Blue Eagle s’annonçait comme un triangle amoureux, mais c’est la relation entre les deux hommes qui motive visiblement Ford, passionné par les rapports masculins conflictuels, qui débouchent souvent sur de grandes amitiés.
Ce n’est pas un cas isolé dans l’œuvre de Ford. Mais cette fascination atteint des sommets ici, où tout est fait pour plonger les deux hommes (O’Brien, donc, et William Russell) dans des rapports de violence qui devraient les opposer à jamais, mais qui ne tarde pas à les rapprocher : une bagarre à fond de cale, une poignée de combats de boxe, et une espèce d’ange gardien, le Père Joe, un aumônier qui croit visiblement à la vertu d’une bonne baffe dans la gueule.
C’est ainsi qu’ils renfileront les gants, après avoir affronté ensemble, à la demande de l’homme d’église, un gang de trafiquants de drogue dont on ne verra, à peu près comme de l’armée ennemie au début du film, qu’un sous-marin aussi mortel qu’anonyme. Janet Gaynor, au moins, à un visage. Mais guère plus de présence à l’écran que les méchants, qui ne sont que des prétextes pour faire avancer la relation entre les deux hommes. Presque une épure, clairement pas le plus abouti des Ford, mais pas un poil de temps mort.