Les Fantômes du chapelier – de Claude Chabrol – 1982
Simenon et Chabrol : l’association de ces deux noms est tellement évidente qu’on aurait tendance à imaginer, tout naturellement, que la filmographie du second est remplie d’adaptations des romans du premier… Mais non : il y a eu Betty, en 1992, et ces Fantômes du chapelier dix ans plus tôt. L’ombre du créateur de Maigret plane sur la filmographie du cinéaste, mais comme une inspiration diffuse, une sorte de figure tutélaire qui trouvera son apogée avec l’ultime film de Chabrol, Bellamy, hommage de l’un au personnage le plus célèbre de l’autre.
Les Fantômes du chapelier est en tout cas là pour confirmer que Chabrol était fait pour filmer du Simenon. Le film est à la fois une excellente adaptation, et un pur Chabrol. L’atmosphère, si chère à l’écrivain, ce microcosme si précis bousculé par un événement extérieur, les petits secrets et les grandes mesquineries… La réussite du film tient peut-être avant tout du fait que tous ces éléments doivent autant de l’un que de l’autre. Totalement Simenon, et totalement Chabrol.
Chabrol qui s’amuse aussi à citer son autre référence majeure, Hitchcock, reprenant des plans de Psychose avec une précision étonnante : un grand angle plongeant sur la chambre de Serrault et sa « femme », et bien sûr ces ombres chinoises laissant deviner le couple en pleine discussion derrière les rideaux de la chambre… C’est presque avec ces images que le film s’ouvre. Mais Chabrol ne cherche pas pour autant à refaire le coup de Norma Bates : tout dans ces citations visuelles appelle le spectateur à comprendre la situation avant même qu’il la mette réellement en image.
On a donc une petite ville terrorisée par des meurtres de femmes, un petit cercle de bourgeois qui se retrouvent chaque jour sans vraiment se passionner pour le fait divers, et le criminel qui se trouve être l’un d’eux. Rien de vraiment spectaculaire, mais un malaise qui s’installe pour ne plus s’évanouir, avec cet étrange lien qui unit le chapelier Michel Serrault et son voisin tailleur, Charles Aznavour.
Le premier, aisé et respecté, est accueilli au café comme un habitué qu’on appelle par son prénom. Le second, immigrant effacé et malingre, est un petit homme qui semble n’exister aux yeux de personne. Le tailleur, pourtant, se met à suivre le chapelier où qu’il aille, ce dernier se délectant de cette ombre dont il ne cherche jamais à se détacher. Si le film est si réussi, c’est aussi parce que les rapports entre ces deux là ne sont jamais simples, toujours troublants…
Kachoudas, le tailleur joué par Aznavour, sait que Labbé, le chapelier joué par Serrault, est le tueur qui fait trembler la ville. Il le sait, mais il ne dit rien, laissant même une victime mourir devant ses yeux. Pourquoi se tait-il ? Simplement parce qu’il veut simplement vivre tranquille ? Et pourquoi Labbé le laisse-t-il le suivre ? Les doutes constants qui naissent de ces interrogations nourrissent le malaise qui ne cesse de croître au fur et à mesure que la folie du chapelier semble prendre le dessus.
Michel Serrault est formidable dans ce rôle, à la limite du grotesque, notable grandiloquent et pathétique que personne ne penserait même à soupçonner. Face à lui, Aznavour est touchant en Arménien dont la vie semble n’avoir été qu’une fuite en avant silencieuse. Dérangeant et inconfortable, Les Fantômes du chapelier fait partie des très bonnes adaptations de Simenon, et des très bons Chabrol.
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