Un air de famille – de Cédric Klapisch – 1996
Il était quand même très grand, Jean-Pierre Bacri. On a beau le réduire le plus souvent à cette image d’éternel râleur, il faut bien reconnaître qu’il y a des tonnes de nuances, derrière ses grognements, ses grimaces, son ras-le-bol. Dans Un air de famille, il en fait beaucoup, éructant son mal-être à chaque réplique. Mais, et ça fait partie de ces mystères qui hantent l’histoire du cinéma, même quand il en fait beaucoup, il y a une vérité criante qui sort de ses incarnations.
Il est absolument formidable, dans le rôle d’Henri, le fils mal-aimé, ce vilain petit canard mal traité par son frère égocentré (normal, il vient d’avoir droit à ses deux minutes de passage à la télé régionale), par une mère incapable de l’aimer comme elle devrait, et même par une sœur mal dans sa peau qui a du mal à voir en lui l’alter ego qu’il est au fond… Qui reste-t-il pour le comprendre vraiment, lors de ce vendredi soir en famille, comme tous les vendredis soirs ? Pas sa femme Arlette, partie « réfléchir » à son manque de « considération ». Non : le larbin du bar qu’il a récupéré de son père, et une belle-sœur gentiment idiote.
Jean-Pierre Darroussin donc, bon gars, bon cœur, mais un peu éteint. Et Catherine Frot, Yolande pour toujours, la plus écervelée de ses incarnations, la plus humaine aussi, peut-être. On l’aime, Yolande, avec une envie presque désespérée de la prendre dans ses bras, et de l’arracher de ce mari castrateur (Wladimir Yordanoff, formidablement odieux). Elle est drôle (« c’est beaucoup trop luxueux pour un chien »), semble constamment à côté de la plaque (« C’est pour les enfants que ça doit être dur… Heureusement qu’ils n’en ont pas »), mais finalement tellement à l’écoute (« Vous vous connaissez, tous les deux… »).
Et Agnès Jaoui, la sœur pas assez féminine, toujours révoltée, grand rôle aussi, tellement juste, tellement à côté de la plaque d’abord, dans sa révolte. C’est ça l’art, le grand art de Jaoui et Bacri, scénaristes et auteurs de la pièce originelle : faire rire (franchement) de situations familières, banales. Et tirer une humanité terriblement juste de ces tranches de vie quotidiennes d’une cruauté abyssale. Il y a de la vie, une lueur d’espoir même. Mais il y aussi une angoisse, une douleur sourde, qui sont terribles.
Une image pourrait résumer Un air de famille. Yolande (la belle-sœur écervelée) et Denis (le serveur méprisé) se lancent dans un pas de danse décomplexé, pendant que les quatre membres de la famille originelle (la mère, les deux fils, la fille) les observent derrière une vitre, comme enfermés dans une cage vitrée, le carcan familial de l’enfance. Pas exactement la plus belle incarnation du bonheur familial…
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