Le Lac aux oies sauvages (Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì) – de Diao Yinan – 2019
Sur le papier, un film noir que n’aurait pas renié Robert Mitchum : l’histoire d’un petit truand sans grande envergure transformé en une nuit en fugitif recherché par toutes les polices après une réunion qui tourne mal. A l’écran, un grand polar chinois à l’esthétisme hyper léché, dont chaque plan est extrêmement cadré.
Un esthétisme presque trop appuyé dans la première bobine (oui, je parle encore en bobines, même à l’ère du numérique), où les cadrages sont tellement construits, tellement parfaits, que le film frôle l’abstraction, un peu comme si on assistait au passage en revue d’un story-board animé. Tellement concentré sur ses cadres, Diao Yinan en oublierait presque de laisser de l’espace à ses acteurs pour exister.
C’est en tout cas l’impression qui se dégage dans les premières minutes, visuellement splendides mais qui laissent dubitatif. Le temps qu’on se laisse happer par cette plongée aux enfers fascinante et angoissante à la fois. Il faut aller le chercher, le naturel, se donner la peine, pas bien pénible d’ailleurs, de traverser les images si belles pour pénétrer dans ce polar moite, violent et glauque. Mais quand on y est entré, c’est une virée tout sauf paisible et confortable qui nous attend.
Quelle est cette ville que filme Diao Yinan ? Une sorte d’abstraction, là aussi, un condensé de bas-fonds baignés par la pluie et la chaleur, succession d’allées obscures, de boyaux recouverts de tuyauteries, d’immeubles déglingués et de restaurants sans charme. Du film noir, on serait passé à Blade Runner, qui lui-même s’inspirait du film noir. Tout ça se tient, Diao Yinan a des références, et une manière bien affirmée de les digérer et de les recracher à l’écran.
Mouvement perpétuel, atmosphères appuyées, utilisation maligne des flash-backs, tragédie en marche… et titre trompeur. Le Lac aux oies sauvages est un grand film désenchanté, un thriller où le lac en question n’est qu’un lieu de débauche et de danger, et où les oies sauvages évoquées ne sont aperçues qu’à l’occasion d’un plan furtif, images lointaines et pixelisés d’une vision capturée au zoom. Comme un espoir si vague qu’il ne peut même pas se fixer à l’écran. Noir, noir. Superbe, mais noir.
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