Le Blues de Ma Rainey (Ma Rainey’s Black Bottom) – de George C. Wolfe – 2020
Ma Rainey fut une authentique pionnière du blues au début du XXe siècle. Le dramaturge August Wilson en a fait la figure centrale d’une pièce, portée à l’écran pour Netflix avec Viola Davis dans le rôle de la chanteuse, et Chadwick Boseman (le héros de Black Panther mort peu après) dans celui d’un jeune trompettiste avide de se sortir de sa condition de « jeune musicien noir accompagnant une chanteuse noire pour de la musique noire pour les noirs ».
La musique, omniprésente, est pleine de vie. Les répétitions, comme les sessions d’enregistrement, sont pleines de vie. Mais les visages, souvent filmés en très gros plan, disent autre chose : l’envie viscérale de s’extirper de cette condition de noir, mais aussi la résignation, ou la rage, c’est selon. Un symbole, un peu facile mais fort : cette lourde porte fermée à clé que Levee, le personnage joué par Chadwick Boseman, ne cesse de vouloir franchir, longtemps en vain, et qui s’ouvre finalement sur une minuscule cour intérieur entourée de hauts murs.
Oui, c’est un peu facile, mais la mise en scène joue habilement avec la sensation d’enfermement et la moiteur ambiante. Le film est adapté d’une pièce de théâtre, et le scénario adopte largement le principe de l’unité de lieu : la caméra reste la plupart du temps, et longuement, entre quatre murs. Mais il y a dans la mise en scène de George C. Wolfe (lui-même dramaturge et homme de théâtre avant d’être cinéaste) une intensité, une urgence même, dans la manière de confronter les personnages, qui semblent souvent au bord de la rupture. Le réalisateur peine quand même à capter la fièvre de cette musique envoûtante : les images paraissent un peu sages et lisses sur la voix graves et profondes de Viola Davis/ Ma Rainey.
L’intrigue est réduite au minimum : une session d’enregistrement, une Ma Rainey capricieuse et comme engoncée dans un physique trop généreux, des musiciens d’accompagnement conscients d’être des faire-valoirs, et un jeune qui, lui, n’a pas cédé, s’imagine un destin au-delà de sa condition de noir venu du Sud : on est en 1927, à New York, une terre qu’il imagine pleine de promesses, où un jeune noir plein de talent peut se faire un nom avec ses propres chansons. La chute sera rude.