Un singe en hiver – de Henri Verneuil – 1962
Un roman alcoolisé de Blondin, les dialogues d’Audiard, un Gabin qui s’engage dans la décennie la plus plan plan de sa carrière, Verneuil derrière la caméra… Sur le papier, Un singe en hiver n’a pas exactement les attraits d’un grand film audacieux. Mais la magie opère. Dans ces années 60 dominées par les films aimables et paresseux de Le Chanois, La Patellière et même Grangier (dont les films sont nettement plus enthousiasmants durant la décennie précédente), c’est avec Verneuil que Gabin tourne ses meilleurs films, les plus surprenants et les plus aboutis.
De cette virée alcoolisée dans les rues désertes d’une petite ville normande du bord de mer, le réalisateur tire toute la belle dimension nostalgique, déchirante. Gabin, homme vieillissant qui n’a même plus l’alcool pour digérer ses souvenirs du Yang-Tse-Tiang, autrement dit de sa jeunesse disparue, de la liberté qu’il a goûtée le temps de quelques mois qui continuent à le hanter. Et Belmondo, jeune père de famille à la recherche d’un bonheur perdu, qui arrive dans cette petite ville paumée pour retrouver sa fille. Il n’y croise d’abord que Gabin, patron d’hôtel avec qui il se découvre une communauté de cafard.
On rit, beaucoup, parce que les deux acteurs sont formidables, et parce que les dialogues d’Audiard sont aux petits oignons. Mais on rit jaune, l’éclat de rire aux lèvres et la boule au ventre, les deux sentiments constamment liés par une soif de liberté et de folie qui, l’alcool aidant, n’a plus la moindre limite. « Je crois que ta femme va être fâchée » lâche Belmondo à Gabin au cœur de cette virée de la dernière chance : la conscience de la réalité du quotidien est toujours là, bien présente derrière l’apparente légèreté.
Verneuil n’est pas un cinéaste renversant, c’est un fait. Sa mise en scène est discrète, sobre, effacée même. Elle est surtout modeste, toujours au service du texte et des personnages. Entre les deux monstres, le vieux et le jeune, l’alchimie est magnifique. Trente ans les sépare, mais une filiation évidente apparaît dès la première rencontre, une même gourmandise, une même soif de vivre qui semble n’éclater vraiment qu’au contact l’un de l’autre.
Leur rencontre dépasse toutes les qualités ou les défauts du film. Ils passent beaucoup de temps ensemble, et il se passe constamment quelque chose : une sorte de communion de folie, ou l’écho d’une jeunesse évanouie. « Tiens, t’es mes 20 ans ! » lance Gabin avant d’embrasser Belmondo. De la première série de verres partagés dans le « bar chinois » au tir de feux d’artifices sur la plage en passant par la scène de tauromachie au carrefour, Un singe en hiver c’est avant tout ça : la rencontre réjouissante et émouvante de deux âges.