Le Pont de la rivière Kwaï (The Bridge on the River Kwai) – de David Lean – 1957
Jusque là, David Lean était un cinéaste de l’intime. Même dans Vacances à Venise, son précédent film, le premier qui lui permettait de dévoiler ses envies d’ailleurs, le récit se concentrait sur cette rencontre entre deux êtres, le décor exotique renforçant la solitude du personnage de Katherine Hepburn, et l’intimité de sa romance éphémère.
Avec Le Pont de la rivière Kwai, Lean se réinvente, tout en restant fidèle à sa démarche. Ici encore, le décor exacerbe les individualités, les personnalités, dans une sorte d’enfermement à ciel ouvert. L’officier anglais que joue Alec Guinness semble ainsi d’avantage lui-même dans cette cage de fer où il passe ses premières journées de prisonnier, que lorsqu’il recouvre une pseudo-liberté dans des paysages grandioses et sans grilles.
Lean se réinvente, avec une nouvelle approche qu’il ne cessera plus d’approfondir, film après film. Dans Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago notamment, ses deux films suivants, qui restent les plus célébrés de sa filmographie, il abordera des thèmes similaires à ceux qu’il aborde ici, derrière le masque du film de genre, le film de commando en l’occurrence.
« Madness », répète le médecin interprété par James Donald à la fin du film, le visage hagard, sorte de préfiguration du « Horror » d’Apocalypse Now. Un simple mot qui explicite le sentiment de gâchis, mais aussi l’impossibilité pour des êtres pourtant pas si différents de se comprendre. Et cette fois, c’est plutôt à La Grande Illusion que l’on pense, et à cette affinité entre les officiers Pierre Fresnay et Erich Von Stroheim.
Entre l’officier anglais (Guinness) et le chef du camps japonais, joué par Sessue Hayakawa, il y a une double frontière : celle de la guerre et celle de la culture. Mais qu’ils évoquent le code d’honneur du Bushido ou les règles humanistes de la convention de Genève, l’un et l’autre mettent leurs stricts principes d’officiers avant tout. Comme l’officier américain joué par Jack Hawkins, enseignant dans le civil, machine de guerre dénuée d’empathie sous l’uniforme.
Quant au soldat américain joué par William Holden, il apparaît comme le symbole ultime de l’homme de rang, celui que la folie des dirigeants transforme en poudre à canon. Il symbolise aussi le reste d’humanité de ces temps troublés, lorsque les troubles de l’histoire balayent tout ce que l’homme prend pour acquis. Un thème que Lean ne cessera plus de décliner, après ce chef d’œuvre tragique, porté par une mise en scène (et une musique) exceptionnelle.
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