Chaussure à son pied (Hobson’s choice) – de David Lean – 1954
L’humour n’est pas ce qui caractérise le mieux la filmographie de David Lean, qui ne s’est attaqué à la comédie qu’à de rares occasions : pour L’Esprit s’amuse, sans doute celui de ses films qui a le plus vieilli, et pour ce Chaussure à son pied, nettement plus convaincant.
Charles Laughton y est le patron gargantuesque d’une boutique de chaussures, qui règne en maître sur sa maison et sur ses trois filles. Quand il se met en tête de maries ses deux cadettes – mais pas la plus âgée, trentenaire qu’il juge immariable – cette dernière décide d’épouser le cordonnier qui passe ses journées dans la cave, à fabriquer les chaussures…
Une vraie comédie, à laquelle Lean donne un rythme digne d’un Lubitsch. Le ton, la légèreté, tranchent avec les précédents films du cinéaste, ou surtout avec tous ceux qui vont suivre. Il dévoile en tout cas un talent insoupçonné de Lean, et marquera a posteriori une rupture dans son œuvre.
C’est son dernier film en noir et blanc, et le dernier de ses films « domestiques », avant qu’il ne se sent des envies d’ailleurs, qui apparaîtront dès son film suivant, Vacances à Venise. Si atypique dans le ton, Hobson’s choice marque aussi le sommet formel de ses premières années.
Dans cette comédie humaine, et joyeusement inconséquente, on retrouve ce qui faisait la force de la plupart de ses films : l’importance donnée aux décors, la manière dont Lean filme les habitations, comme des personnages à part entière. Trois décors principaux ici : la boutique d’Hobson, celle de sa fille, et le pub où Charles Laughton s’encanaille. Trois décors auxquels Lean apporte le même soin, et dont il tire des plans superbement composés.
Les quelques scènes extérieures aussi sont superbes, avec ces pavés humides omniprésents, cette misère ambiante qui cohabite avec l’étrangeté des rapports entre les personnages : ce père qui humilie sa fille, cette dernière qui impose son amour, et la romance qui se noue devant une rivière pleine de déchets, ou un caniveau ruisselant.
Lean décline l’esthétisme de ses adaptations de Dickens (De Grandes Espérances et Oliver Twist), pour en faire l’arrière plan très vivant d’une pure comédie. Le cocktail fonctionne parfaitement, et donne une petite merveille, le film le plus joyeux de son auteur.
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