Un roi à New York (A King in New York) – de Charles Chaplin – 1957
Peut-être le plus mal aimé des films de Chaplin, celui qui m’a en tout cas toujours paru être injustement sous-estimé. Oui, certains gags viennent d’une époque révolue, dont Chaplin fut l’incontestable roi (la scène du restaurant, avec l’orchestre très bruyant et les mimes pour commander). Et oui, Chaplin brasse énormément de thèmes forts, au risque de simplement les survoler.
En vrac, il égratigne la télévision, le Maccarthysme, le jeunisme, l’omniprésence de la publicité et toute forme d’intolérance… Et c’est vrai que certains de ces thèmes sont moins convaincants que les autres. Mais qu’importe, s’il y a bien une certaine naïveté, elle est d’une honnêteté et d’une conviction désarmantes.
Et quel plaisir de voir Chaplin, le vieux clown, se mettre en scène tel qu’en lui-même, conscient d’être devenu un dinosaure dans un monde qui n’est plus le sien, et finalement pas si différent de ce qu’il était du temps de Charlot. Lorsque le roi Shahdov se met à rire franchement, enfin, c’est d’ailleurs devant un spectacle de pantomime qui renvoie évidemment aux propres heures de gloire de Chaplin…
Un roi à New York est un film tout aussi personnel que Les Feux de la rampe. Une fois de plus, le film ne se comprend qu’au regard de la trajectoire personnelle de Chaplin. Sa critique rigolarde de la télévision évoque ainsi celle du cinéma parlant dans Les Lumières de la Ville ou Les Temps modernes. Et le parcours de ce roi sans patrie est évidemment une manière d’aborder son propre statut de cinéaste interdit de séjour aux Etats-Unis : Un roi à New York est son premier film tourné en Europe.
Mine de rien, il s’explique aussi. Communiste, Chaplin ? Cette bonne blague, aussi grotesque que d’évoquer un roi communiste, ce que fait la tristement fameuse commission des activités anti-américaines dans le film. Pour Chaplin, aucun parti politique n’a d’importance, seul compte l’humain. Et autant il rit (et fait rire) de la télévision ou de la chirurgie esthétique, autant ce thème-là est abordé avec une vraie gravité.
Derrière la critique de cette Amérique des années 50, on sent l’amour que porte Chaplin à ce pays qui lui a tout offert. Un amour inconditionnel, et malheureux, qui domine cette comédie parfois potache mais toujours sincère. C’est pour cette sincérité que le film est beau. Parce que le poids de son passé est là, toujours, dans chaque scène. Toute son histoire personnelle irrigue le film. Chaplin est son propre sujet, l’unique raison d’être du film.
La dernière scène est peut-être celle qui résume le mieux sa pensée. Le gamin (joué par Michael, le fils de Chaplin), aux si grandes idées communistes, a dénoncé des gens pour sortir ses parents de prison. Parce qu’au fond, pour Chaplin, derrière les convictions politiques, il y a d’abord l’humain. Et ce gamin est avant tout un fils qui veut revoir ses parents. C’est beau, d’une amertume abyssale et déchirante avec le regard perdu de l’enfant…
Mais Chaplin ne termine pas tout à fait son film sur cette image. Il ajoute une scène de départ, anodine, de celles qui annoncent un retour prochain. Chaplin a été mis à la porte de son pays d’adoption, et il ne ménage pas ses critiques dans son film. Mais il ne s’agit pas d’un divorce définitif : ce retour, il l’espère, on le sent. Toute proportion gardée, l’exilé continue sa vie en attendant des jours meilleurs… comme d’autres exilés presque deux décennies plus tôt, tels qu’il les filmait dans Le Dictateur.
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