L’Epouse de la nuit (Sono yo no tsuma) – de Yasujiro Ozu – 1930
Associer Ozu au polar est loin d’être une évidence, au vu des chefs d’œuvre prestigieux du maître. Pourtant, le cinéaste a bien tourné quelques films de genre durant sa période muette. L’Epouse de la nuit fait ainsi figure de curiosité, assez loin de l’univers d’Ozu a priori. Mais finalement pas tant que ça…
L’influence de la culture américaine a souvent été très présente dans le Japon que filme Ozu. Celle du cinéma hollywoodien l’est particulièrement ici, par les affiches de films accrochés sur les murs de l’appartement où se jouera l’essentiel de l’action. Mais aussi par cette longue première séquence, que l’on croirait tout droit sortie d’un film de gangsters de la Warner. Ça se passe la nuit (ce qui est déjà une rareté chez Ozu), ça se passe même sur une seule nuit (encore une curiosité), et un matin.
Les dix premières minutes sont remarquables, et dénuées de tout carton. Dans cette nuit très profonde, Ozu filme un braquage, puis une fuite désespérée à travers les rues de la ville. Des détails : une main sur une épaule, une silhouette à travers une porte vitrée, l’empreinte d’une main, un combiné de téléphone qui pend… Ozu, qui a déjà une quinzaine de films à son actif, maîtrise parfaitement le cadre et le montage pour cette narration précise et intense à la fois, qui révèle ses talents de réalisateur américain !
Du pur film de gangster, Ozu nous emmène vers un drame plus intime, avec une transition par montage parallèle. On comprend alors que le voleur est un père de famille désespéré, qui avait besoin d’argent pour soigner sa fillette malade, entre la vie et la mort.
Et le voilà chez lui, avec sa femme, et bientôt un policier qui l’a suivi… trio inattendu autour du lit de la fillette. Le film reste alors tout aussi intense, mais change de ton, et de rythme. Le style d’Ozu n’est pas tout à fait celui de sa grande période à venir, où la caméra sera souvent au niveau du sol. Mais sa manière de filmer les objets comme les témoins du temps qui passe, est déjà là. Le linge qui pend aussi.
Et la figure du père, bien sûr, centrale et bouleversante. Celle de la mère aussi d’ailleurs, qui, même en retrait, est aussi intense que celle du mari. Une constante aussi, dans l’œuvre d’Ozu.
L’Epouse de la nuit est une curiosité, mais c’est déjà un très beau film, intime et intense. Même dans un film de genre, Ozu sait avec de petits rien faire éclater la plus forte des émotions.
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