Les Lumières de la Ville (City Lights) – de Charles Chaplin – 1931
On a tout dit sur ce film lumineux, classique indémodable, chef d’œuvre absolu, sommet de la carrière de Chaplin (qui en compte d’autres, des sommets). Et ne comptez pas sur moi pour ne pas crier avec la foule, parce que, oui, Les Lumières de la ville est un film merveilleux.
Il y a bien sûr la beauté foudroyante de son dernier plan, le plus beau peut-être de Chaplin, peut-être aussi le plus beau gros plan sur un regard d’homme de toute l’histoire du cinéma. Après l’avoir vu dix fois (quinze fois ?), et même en me préparant et en me disant que, cette fois, je ne verserai pas ma larme, eh bien si, l’émotion jaillit encore, aussi pure et aussi intense.
Il y a aussi l’intelligence de la mise en scène, cette perfection du langage cinématographique dans ce qu’il a de plus pur, ce refus affiché par Chaplin de céder aux sirènes du parlant auxquelles tout le monde, pourtant, a répondu depuis plusieurs années déjà. Pas Chaplin, pour qui le parlant marque la fin de l’universalité du cinéma. Il le disait : si Charlot parlait anglais, il ne représenterait plus qu’une partie des laissés-pour-compte. Or, son personnage n’est pas Américain, ni Anglais, il est universel. Chaplin enterrera d’ailleurs Charlot définitivement avant de tourner son premier vrai film totalement parlant : ce sera Monsieur Verdoux… en 1947, vingt ans après Le Chanteur de jazz !
Pour l’heure, et comme il le fera d’avantage encore avec son film suivant Les Temps Modernes, Chaplin reste fidèle au muet tout en ironisant sur le parlant. Car Chaplin n’est pas réfractaire au progrès : son film est sonore, ce qui lui permet de se moquer des dialogues grésillants des films de l’époque lors de la scène inaugurale, discours grotesques et inintelligibles lors de l’inauguration d’une statue. On ne comprend rien de ce que disent ces hommes de pouvoir fats et arrogants. Mais on comprend tout des mimiques et de la gestuelle de Charlot qui apparaît sous le drap recouvrant la statue, étrange et réjouissant lever de rideau.
Refusant toutes les facilités qu’offre le parlant, Chaplin s’est cassé la tête pendant des mois pour trouver l’idée grâce à laquelle son histoire fonctionne : comment la jolie vendeuse de fleurs aveugle en arrive-t-elle à croire que Charlot est un homme riche ? La solution est géniale, parce qu’elle paraît d’une simplicité et d’une évidence absolues, totalement cohérente avec ce qu’est le personnage, avec sa liberté, avec son refus des conventions et des barrières qu’impose la société.
Génie de la mise en scène, Chaplin s’autorise aussi ici des mouvements de caméra comme il en a finalement peu utilisés. L’hilarante séquence de la boîte de nuit en est un bon exemple. Chaplin cinéaste y révèle un dynamisme surprenant… Et les séquences s’enchaînent avec la même inventivité et la même efficacité. Que ce soit dans la comédie pure (la scène du combat de boxe) ou dans le drame (la sortie pathétique de prison, avec un Charlot soudain privé de sa canne et de son plastron, donc de sa dignité), le film est une merveille, optimiste et lucide à la fois. Eh bien oui, un chef d’œuvre.
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