Rosita, chanteuse des rues (Rosita) – d’Ernst Lubitsch (et Raoul Walsh) – 1923
Il y en a qui galèrent pour se faire une place au soleil d’Hollywood. Et il y a Lubitsch, prince en son pays, que la plus grande star d’Amérique appelle pour la mettre en scène, lui déroulant le tapis rouge et lui offrant des moyens énormes. Rosita est donc le premier film américain du maître allemand, un « Mary Pickford movie » (un genre en soi) que, comme les autres grands noms qui ont dirigé l’actrice (Tourneur, Borzage), il transcende par son style et son regard.
Pas que Rosita soit le film le plus personnel de Lubitsch, ni même son plus abouti d’ailleurs : il y a dans cette grande histoire d’amour romanesque qui flirte avec la tragédie une sorte de tiraillement constant entre deux tons, deux univers. La romance et le tragique, le drame le plus sombre et la comédie la plus triviale.
Cela donne beaucoup de très beaux moments, que ce soit dans le drame (le héros qui découvre son destin à travers l’ombre d’un pendu) ou la comédie (la famille de Rosita qui débarque dans le palais). Mais il manque sans doute une vraie direction au film pour qu’il soit totalement réussi.
C’est en tout cas un rôle taillé sur mesure pour Mary Pickford : celui d’une pauvre chanteuse de rue dans le Séville des quartiers populaires, dont le roi d’Espagne s’entiche après l’avoir entendue le moquer devant la foule enthousiaste. Un roi particulièrement inconséquent plus intéressé par l’idée d’assouvir ses fantasmes que de régler les problèmes du peuple. Non pas que les questions sociales ou politiques soient mises en avant cela dit : à l’exception d’une scène savoureuse où Rosita malmène un collecteur d’impôts, cet aspect reste au stade de la toile de fond.
Lubitsch, cela dit, a des moyens visiblement très importants, qui lui permettent de mettre en scène la « populace » au milieu de laquelle évolue la jolie chanteuse de rue. Réussissant ainsi une séquence d’ouverture particulièrement impressionnante, la foule convergeant vers cette jeune chanteuse pleine de vie qui s’avance comme une rock star.
Ces scènes de foule sont peut-être, et assez bizarrement, les plus réussies du film : c’est là, au milieu de dizaines, voire de centaines de figurants, que Lubitsch capte le mieux ce que sont ses personnages. Le premier face-à-face avec le roi, dans ces conditions, ne manque pas de saveur.
Cela dit, Lubitsch est déjà Lubitsch. Il sait aussi filmer les alcôves, les couloirs… et les portes qui s’ouvrent (déjà) devant Mary Pickford, ces portes tellement présentes dans son cinéma, et qui accompagnent ici l’irrésistible ascension de la chanteuse qui devient comtesse.
Sans doute, en hésitant un peu moins entre comédie et drame, la dernière partie du film aurait-elle été plus forte, plus poignante. Mais ce final très lubitschien pour le coup, tout en expédiant un peu vite la question du « faux mort » (ah oui, il faut avoir vu le film), réserve un sort réjouissant à ce roi indélicat, dominé in fine par une reine qui sort tardivement de sa retenue pour remettre de l’ordre dans l’histoire. Féministe avant l’heure…
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