L’Homme qui voulut être roi (The Man who would be king) – de John Huston – 1975
L’Homme qui voulut être roi est à l’image de John Huston : passionné, trouble, lettré, tiraillé entre un profond respect de l’autre et une vision très personnelle voire égotiste du monde. Comment en serait-il autrement ? Huston a voulu adapter la nouvelle de Rudyard Kipling pendant près de vingt-cinq ans.
Le résultat est, comme souvent lorsque le cinéaste se confronte aux écrivains qu’il admire, une œuvre personnelle et à peu près unique en son genre. En l’occurrence, une sorte de parcours initiatique qui commence aux Indes britanniques des années 1860 pour s’achever dans une province quasi-légendaire au Nord de l’Afghanistan.
Pour réussir le film, il fallait d’abord un duo d’acteurs qui fonctionne : les deux personnages sont comme les deux faces d’une même pièce, deux aventuriers britanniques liés l’un à l’autre par une amitié totale, qui se base sur les rites de la franc-maçonnerie. Pas sûr, d’ailleurs, qu’on puisse trouver un autre film qui aborde aussi frontalement les loges maçonniques. Initialement, Huston avait pensé à Bogart et Gable. Tous deux étant morts, il s’est tourné vers d’autres possibilités, avant de porter son choix sur Michael Caine et Sean Connery.
Un choix parfait, et quasi-évident même, a posteriori : les deux acteurs sont eux aussi les deux faces d’une même pièce, avec des carrières qui n’ont cessé de se répondre sans pourtant jamais se croiser, à cette notable exception près. Il y a aussi un troisième larron : un certain journaliste basé aux Indes, nommé Rudyard Kipling et qu’interprète Christopher Plummer. C’est Huston qui a voulu mettre en scène l’écrivain, qui n’apparaît pas lui-même dans sa nouvelle.
C’est devant lui que les deux aventuriers s’engagent dans leur quête hallucinante : traverser une partie du Moyen-Orient pour se rendre dans un petit pays où aucun blanc ne s’est rendu depuis Alexandre, 2000 ans plus tôt. Leur objectif : devenir rois et profiter de leur nouveau pouvoir pour s’accaparer les richesses du pays… Oui, on a beau s’attacher très vite à ce tandem d’aventuriers, ils représentent l’arrogance et le cynisme du blanc dominant.
Huston, fidèle à son habitude, ne donne aucun indice clair signifiant qu’il condamne le comportement de ses « héros ». Il en fait même des hommes pleins de charmes qui, arrivés au pouvoir (car ils y arriveront, plus fort qu’il se l’imaginaient, jusqu’à en payer le prix fort), donneront une sorte de justice bienveillante. L’un d’eux en tout cas, grisé par le pouvoir qu’on lui attribue, l’autre préférant profiter des richesses qui lui tendent les bras. Deux faces d’une même pièce, deux sentiments qui les tiraillent.
Huston les filme avec une certaine bienveillance, partageant avec ces personnages le goût de l’aventure, qui a marqué sa jeunesse et toute son œuvre. Il filme aussi les autochtones avec la passion de celui qui aime et respecte les cultures différentes, laissant longuement sa caméra filmer des gestes simples, des visages, des rues grouillantes, un enfant dans le désert, ou des villageois découvrant les codes de l’armée anglaise. Un regard plein d’amour, même.
C’est un film d’aventures à grand spectacle que signe Huston, mais un film qui adopte constamment le point de vue de ses personnages. Toujours à hauteur d’hommes, donc, et marqué par une forme de cynisme et d’ironie mêlés, à l’image de ses deux héros, à la fois flamboyant et à la limite de la folie. Un film passionnant.
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