Je vous ai toujours aimé (I’ve always loved you) – de Frank Borzage – 1946
Borden Chase au scénario (adaptant sa propre nouvelle), Rubinstein au piano… Borzage a des collaborateurs de poids pour cette romance sur fond musical, qui reprend des tas de thèmes typiques de son œuvre : la passion amoureuse, la vie simple opposée au luxe, les motifs qui se répètent de génération en génération…
Un grand maître (Philip Dorn) prend son aile une jeune pianiste douée (Catherine McLeod). L’élève finit par dépasser le maître, tout en tombant amoureuse de lui. Mais le maître supporte mal la concurrence, et la flanque à la porte. Elle épouse son ami d’enfance, les années passent.
C’est à vrai dire un mélo qui pourrait être bien poussif, s’il n’y avait cette fameuse patte de Borzage, qui tire de cette histoire assez banale quelques scènes magnifiques, des moments de pure beauté, et une vérité des sentiments qui fait oublier les limites de ses acteurs (ne cherchez pas, ils n’ont jamais été aussi bien ailleurs).
Il y a bien le sympathique Felix Bressart, dans le rôle du père de Catherine McLeod, ou Maria Ouspenskaya dans celui de Babouchka, la grand-mère du maître, mais c’est bien la caméra de Borzage, discrète et délicate, qui fait la beauté de ces personnages et de leurs rapports compliqués : sa manière de surprendre un regard, un geste, un silence.
Et puis c’est peut-être le film « musical » de Borzage où la musique est le mieux utilisée, la plus touchante. Souvent, les passages chantés ou joués de ses films servent à mettre en valeur leurs interprètes. Ici, la musique (de Rachmaninoff surtout) est entièrement au service de la dramaturgie.
Il n’y a qu’à voir la très longue scène du concert au Carnegie Hall : pas une parenthèse, non, mais le cœur même du film, où tout se joue à l’écran en une dizaine de minutes d’un cinéma total et magnifique. Quasiment sans un mot (à l’exception soudaine d’une voix off, inutile), Borzage saisit là les sentiments les plus profonds de tous ses personnages. C’est brillant, et terriblement cruel.
D’une grande délicatesse, jusque dans sa manière de mettre en scène la mort, comme une chose naturelle et presque heureuse, cette œuvre méconnue de Borzage est un long et beau mouvement musical au final beau, et déroutant.
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