Le Cirque (The Circus) – de Charles Chaplin – 1928
Une évidence : Chaplin, le plus grand des clowns, grand passionné de cirque jusqu’à son dernier souffle, pouvait-il ne pas plonger son personnage de vagabond dans l’univers circassien ? Non, bien sûr. Il le fait, et il en tire une sorte de perfection. Le Cirque n’est pas le chef d’œuvre de Chaplin, non (d’autres films sont sur les rangs pour ce titre, The Kid, Les Lumières de la Ville, Les Temps modernes…). Mais c’est paradoxalement peut-être le plus parfait de tous.
Parfait, parce que le génie de Chaplin se mélange avec le sujet de son film : ce cirque où le vagabond un peu vil (il pique la nourriture d’un enfant, il vole, il profite des faiblesses de ses adversaires), un peu maladroit, et très inadapté à la société, trouve un théâtre à sa mesure, le lieu idéal où ses éclats de génie (involontaires pour le personnage, mûrement réfléchis pour le cinéaste) peuvent s’exprimer.
C’est particulièrement flagrant dans la scène où Charlot déboule en plein milieu d’une représentation, déclenchant les fous-rires des spectateurs en tentant d’échapper au policier qui le poursuit. Comme si le personnage, après des dizaines de films, arrivait enfin à destination, là où il sera bel et bien à sa place.
Pourtant, le rire est une nouvelle fois teinté d’une profonde amertume dans Le Cirque. Chaplin, amoureux transi, est trop inadapté pour pouvoir prétendre au bonheur. Même dans un cadre comme celui-ci, il reste condamné à être le chevalier au grand cœur… qui reste dans l’ombre. Ce qui donnera l’une de ces fins déchirantes et pourtant pleines d’un certain espoir dont Chaplin a le secret.
Entre-temps, les moindres recoins du cirque ou de la fête foraine sont autant de sources d’inspiration pour le génie comique du grand Chaplin. Et les scènes mythiques s’enchaînent : celle de la cage aux lions, celle des singes agrippant à Charlot funambule, ou encore celle du palais des glaces, qui précèdent de vingt ans (et dans un autre registre) celle de La Dame de Shanghai de Welles, ce dernier n’ayant jamais caché être un grand admirateur de Chaplin.
Le Cirque n’a peut-être pas la beauté fulgurante des Lumières de la Ville, la force humaniste des Temps modernes, ou l’amertume grinçante de La Ruée vers l’or. Mais sa simplicité apparente, la perfection de sa narration, en font une nouvelle que l’on ne se lasse pas de voir et revoir, à tous les âges, et avec le même immense plaisir.
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