Amis pour toujours (Shipmates forever) – de Frank Borzage – 1935
Le grand Borzage est souvent contraint d’enchaîner les films de commande, en ce milieu des années 30. Cette fois, il a bien du mal à imposer sa marque, tant Shipmates forever semble parfaitement calibré. La présence au scénario de Delmer Daves pourrait être rassurante : la collaboration des deux hommes venait de déboucher sur le très beau Stranded. Mais elle ne fait que confirmer l’ambition très limitée du film : renouveler le succès de Flirtation Walk.
Même scénariste, même réalisateur, même couple d’acteurs (Dick Powell qui pousse la chansonnette à la première occasion, et Ruby Keeler qui enchaîne les numéros de claquettes… c’est chiant les claquettes), même décor (l’école militaire) et mêmes enjeux (un homme qui n’a aucune envie de devenir officier mais que le destin conduit à l’école)… Avec cette recette, Flirtation Walk séduisait avec son couple gentiment bousculé par le destin, son humour et sa légèreté. Ici, hélas, c’est plutôt l’hommage énamouré à la grande armée et à la virile amitié qui domine.
Hélas, parce que cela donne de longues séquences ni originales, ni palpitantes, sur la vie quotidienne de ces apprentis officiers, tout autant que de longs passages musicaux, qui apparaissent comme autant de respirations bienvenues. Ce n’est pas qu’on s’ennuie (en tout cas pas tout le temps, mais les 108 minutes du film ne sont pas toutes palpitantes) : on prend même un certain plaisir à certains moments, grâce en particulier à la présence de Dick Powell, parfait en crooner plein de charme et émouvant en compagnon de chambrée incapable de trouver sa place.
C’est d’ailleurs l’aspect le plus réussi du film : la manière dont Borzage filme la solitude du gars : très belle scène où on le voit attendre avec espoir et en vain qu’un compagnon vienne taper à sa porte. La délicatesse du cinéaste n’est pas une surprise, mais Borzage confirme aussi son talent de cinéaste d’action, à l’occasion d’une séquence spectaculaire et très tendue : celle de l’explosion de la chaudière sur le bateau, point d’orgue dramatique particulièrement réussi.
Pas désagréable, donc, mais il y a quand même quelque chose d’un peu problématique dans ce Borzage-là : lui qui défendait si bien la liberté de chacun de faire ses propres choix, y compris dans son récent et très féministe Stranded, signe ici un véritable éloge au déterminisme. Tu seras marin, mon fils, comme ton père et ton grand-père avant toi. Et tu le seras avec le sourire…
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